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Je lui recommande de se contenir. Elle me regarde avec deux yeux courageux.

Nous sommes au débarcadère. Nous descendons. Aucun officier de garde n’est là

Renée dépose aux pieds du cadavre les roses, s’agenouille, prie, le visage entre ses mains jointes. Elle ne pleure pas.

Après quelques minutes angoissées, je la secoue, je la reconduis. Elle repart seule. Je reste.

Vingt-quatre heures sont passées depuis l’heure de la mort.

Deux marins apportent ma couronne de roses blanches et rouges. Je la place près de sa tête. Je place aussi, près de sa joue droite, la gerbe de Renée.



23 décembre.

C’est le matin désigné pour le grand vol : un matin glorieux. Pas un souffle de vent. La lagune n’a pas une ride. Le ciel est immaculé.

S’il était vivant, à cette heure-ci on se préparerait ; nous revêtirions nos pelisses, nous vérifierions nos armes, nous passerions nos camails de laine, nos chaussons de fourrure. Nous serions joyeux, actifs, confiants. Georges serait là et préparerait tout sur nos sièges. Le sac des messages serait déjà placé sous le coffre du moteur, comme celui de Trieste.

J’entre dans la chambre mortuaire.

Ange Belloni est là Une tête triangulaire, un vaste front, de grands yeux, perçants comme ceux des faucons, sans battements.

Nous nous serrons les mains.

La pièce est déjà remplie de couronnes, posées sur des tréteaux.

Des formes sans beauté.

La forme pure de la couronne est altérée.

Stupidité des couronnes funéraires composées par des fleuristes prétentieux. Il y en a une qui est fausse, en porcelaine et en zinc.

Les ombres des couronnes tremblent sur le mur. Les petites flammes des cierges vacillent en se reflétant sur les baïonnettes.

Ange Belloni s’asseoit à côté de moi.

C’est un grand et sincère ami du mort. Il me parle de lui. Comme il le connaît !