Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/552

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour apprécier une nature comme celle de Joseph Miraglia.

Vers deux heures du matin, il s’en va. J’envoie Louis Bologna et Charles Della Rocca se reposer. Silvio Montanarella doit venir à quatre heures.

Je suis à bout de forces. Charles descend, dans son sarrau noir, et me prie d’aller prendre un peu de repos. Je m’y refuse.

Les marins de garde sont remplacés, toutes les deux heures. Ils sont presque tous beaux, grands, sévères, avec une expression très noble de douleur. Ils portent la ceinture de cuir, la cartouchière. Ils sont vêtus de bleu sombre, avec le grand col d’azur clair et le béret de drap.

Cinq heures sonnent. Le belvédère voisin a crié, d’autres répondent dans le lointain.

Le clapotement continue.

J’ai les pieds gelés sur le carrelage nu. J’ai de la glace dans tous les os.


Je rentre chez moi, à bout de forces. Je me déshabille. Mon uniforme, me semble-t-il, a une odeur de mort. La même odeur est dans mon linge. J’enlève tout. J’entre dans le bain chaud. Quelque chose du cadavre est-il en moi ? Je me demande soudain si l’on a lavé le corps blessé avant de le revêtir.

Sentiment de désert, de désolation dans la maison.

Souvenirs de la vie légère.

Son plaisir délicat devant mon petit Watteau. Son sourire de mandarin quand je lui disais une image concise d’un poète de l’Extrême-Orient.

Renée survient. Elle est pâle. Elle n’a pas dormi. Elle m’interroge. Je lui raconte...

Il faut que je retourne à Sainte-Anne pour midi. Je commande une couronne, quelques gerbes de roses.

Renée veut venir avec moi.

Nous ne mangeons presque rien. Le canot est à quai. Nous partons.

Venise en cendres. La mort partout.

Les mouettes par bandes sur le bassin. Leur rire bas à la fleur de l’eau morne.

Renée porte une gerbe de roses rouges, liée avec un ruban bleu.

Silence.