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simple, rude, franc. Déjà je l’admirais. Désormais je l’aime.

On parle de la mise en bière, des funérailles. Bientôt quarante-huit heures seront écoulées. On décide que le cadavre sera scellé aujourd’hui à quatre heures de l’après-midi.

Je prends congé. Je rentre chez moi.

Le jour est si beau qu’il me semble n’en avoir jamais vu un plus beau. Le 23 décembre, notre jour !

Le Destin non seulement a tué d’un coup mon compagnon, mais encore, par dérision, a tiré du fond de la mer un matin de gloire. Le soleil monte avec je ne sais quelle insolite vigueur qui peut-être semble extraordinaire à mon extrême fatigue.


Je rencontre un de nos bons camarades, un jeune pilote qui a déjà donné de belles preuves d’audace. Je l’emmène à l’écart, je le conduis sur le ponton de l’embarcadère et je lui parle. Je lui demande s’il veut prendre la place du disparu, dans l’expédition dalmate.

Il hésite. Il finit par dire qu’il croit fermement qu’il n’y a aucune chance de succès ; mais, en bon soldat, il obéira s’il reçoit un ordre net.

Il ajoute : « Un seul moteur. Un appareil traître. Environ neuf heures de vol. On est sûr de tomber et de rester en mer. Il n’y a pas à compter sur le secours des torpilleurs. Moi, du reste, je suis habitué à passer des heures et des heures dans l’eau. — Et moi, je m’habitue vite à tout, » lui répliqué-je, retrouvant pour un instant mon sourire.

L’ardeur dissimulée de mon compagnon perdu m’enveloppe. Je revois ses mains au volant, ses yeux verdâtres derrière les verres du masque. Et je sens que je ne retrouverai peut-être jamais plus mon égal dans l’amour du hasard.

Nous décidons d’en parler au commandant Valli. Devant mon visage résolu, le jeune homme se reprend et m’assure qu’il sera heureux de tenter avec moi le vol si l’on juge nécessaire de le tenter. Mais un de ses compagnons, survenu, ravive le débat, estimant que la réalisation de ce vol serait une offense à la mémoire du mort.


Le soir est d’opale, d’or et d’ambre. L’horizon est gemmé comme une longue rangée de trônes.

Puis cette richesse se voile et se refroidit. Le ciel et la lagune sont deux suavités glacées.