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S’il y a une douceur qui blesse, c’est bien celle-ci...

Je rentre. Je vois emporter les couronnes. Les matelots sont en train de vider la chambre funèbre.

Par terre, auprès du lit, j’aperçois le cercueil ouvert. Le couvercle est appuyé au mur, verticalement.

Le cœur me tremble si fort que je m’appuie à l’épaule de Louis Bresciani ; mais il me semble que lui aussi aurait besoin d’être soutenu.

Je ressaisis mon courage, j’éloigne de moi quelqu’un qui fait le geste de m’entrainer dehors. Je suis résolu à ne pas abandonner mon ami, jusqu’au dernier instant. Je reste debout, silencieux.

La chambre, à présent, est vide. Les marins l’ont débarrassée de toutes les couronnes. Les cierges sont déplacés. De mes fleurs, qui étaient sur le drap noir, je laisse emporter les premières et les dernières, à part le bouquet de roses blanches au ruban blanc.

Le cercueil ouvert est sur le carrelage, parallèlement au lit. Il est doublé de plomb ; il repose sur des pieds dorés.

Je me tiens le menton pour empêcher mes dents de claquer.

Les quatre matelots soulèvent le suaire.

Seul je m’avance, je m’agenouille, je regarde le cadavre, je dépose le bouquet de roses sur ses pauvres pieds brisés et enveloppés.

J’ai le courage d’effleurer les mains avec mes lèvres.

Je me relève suffoquant ; je me retourne, je reviens vers Louis qui n’a plus de couleur, qui a une bouche convulsée de petit enfant. J’incline le visage sur son épaule en sanglotant.

Le couvercle de bois est appliqué à sa place, pressé, ajusté Un des hommes enfonce et tourne les vis.

Sur le couvercle il y a une croix dorée et une plaque de cuivre gravée.

Je me penche pour lire la plaque gravée : le nom et deux dates. Il naquit le jour du solstice d’été, 21 juin 1883 : il mourut le jour du solstice d’hiver, 21 décembre 1915, à trente-deux ans et six mois.



24 décembre.

Sur le quai de Sainte-Anne, une foule de femmes du peuple qui se presse contre les grilles de l’hôpital.