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Je ne peux. Je n’ai plus de forces. Je l’attendrai à la Casa Rossa, si elle peut venir avant son départ. Elle doit repartir à deux heures. Il est déjà midi.

Ma barque, au retour, côtoie les murs de Saint-Michel, rouges de brique avec leur base en pierre claire.

Je me rappelle une nuit d’été, une nuit d’août. Nous étions allés à Murano en gondole. Rosalinde était avec nous. La lagune était si phosphorescente que chaque coup de rame soulevait de longues flammes blanches. Et nous nous penchions pour regarder. Le menton des femmes nous apparaissait éclairé.

Le long des murs du cimetière, nous cessâmes de rire et de plaisanter.

On entendait la plongée mesurée des rames. Et sous ces murs funèbres la phosphorescence créait des anneaux et des guirlandes de lumière.

Une mélodie lumineuse entourait l’ile des morts.


Tandis que j’écris dans l’obscurité, ma pensée se brise et ma main s’arrête.

Alors la bande de papier que j’ai tournée, se relève et retombe sur mes doigts, sans bruit.

J’ai un frisson d’épouvante. Et je reste immobile, avec tout le corps roidi, n’osant plus tracer un seul signe dans les ténèbres.


GABRIELE D’ANNUNZIO.

Traduit par ANDRÉ DODERET.