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Nous atteignons la rive ; nous sommes sous un mur de briques rongées, que dépassent les cyprès.

On accoste.

C’est comme un songe d’outre-mer, d’outre-monde.

Je me retrouve sur les dalles de pierre.

Je marche de nouveau derrière le cercueil, de nouveau je le touche, je le reprends.

Au sortir de la chapelle, l’organisateur de la cérémonie, le commandant Valli, arrête les deux cercueils au milieu de la cour.

Je vois un carré d’hommes. Les suivants font le cercle. Je vois les amiraux, les généraux, les officiers, tête nue. Son frère est près de moi. Il se fait un grand silence. Qu’est-ce qu’on attend ?

Je regarde autour de moi, je vois des yeux tournés vers moi. Que va-t-on faire ?

Le commandant Valli s’approche de moi, et me demande si je veux parler.

Je crois que je suis encore plus pâle, car avec empressement on me dit : « Non ! Non ! si vous ne pouvez pas, si vous ne vous sentez pas la force de parler... »

Et il y a, autour de moi, un silence effrayant.

Le ciel gris s’abaisse sur ma tête, comme une chape de fer.

Et le silence semble éternel.

Je dois arracher les mots de mon cœur serré. Son frère me regarde. L’attention de tous est sur moi. C’est une attente angoissée qui s’accroit d’instant en instant.

Je fais un pas en avant ; puis je me tourne vers le cercueil.

Je ne vois pas l’autre cercueil ; j’oublie l’autre mort.

Je parle avec une voix qui me fait trembler dans toutes mes fibres et que je reconnais à peine.

Je vois, sur un visage, couler des larmes. Et ma parole se brise...

Quand la salle du dépôt est pleine de fleurs entassées, les gardiens la ferment. Je l’entends fermer derrière moi.

Le cortège retourne vers le quai, où les barques nous attendent.

Quelqu’un m’aborde et me montre un billet qu’un rameur, sur un sandal, vient de lui apporter du Pavillon des Esprits.

Rosalinde est là : elle est arrivée ce matin, à l’improviste. Elle est allée au Pavillon pour assister au passage de la barque mortuaire, au débarquement. Elle désire me voir, me parler. Elle me prie de venir la rejoindre.