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par Moscou. Tant qu’ils seront, directement ou indirectement, les maîtres au Caucase, les Russo-Allemands n’auront pas grand’peine à contrôler toute la politique de l’Asie Centrale ; c’est eux qui tiendront les fils des divers nationalismes, comme aussi des différents mouvements politico-religieux, grâce auxquels le panislamisme est en train de devenir une dangereuse réalité. Le plateau arménien et le massif du Caucase, quel admirable observatoire et quelle position avantageuse, commandant à la fois l’Anatolie et la Mésopotamie, l’Afghanistan et la Perse ! Pour les conquérir et les conserver, les Romains soutinrent des luttes coûteuses contre les Perses et contre les Parthes ; pour s’y maintenir, les Byzantins employèrent tour à tour les efforts de leurs armes et de leur politique. On sait quel prix la Russie des Tsars attachait à la possession de cette contrée et comment elle s’y heurta aux convoitises et aux défiances de l’Angleterre. Il y a un fond immuable à la politique : c’est la géographie. De même que nos Conventionnels rentrèrent, dès qu’ils le purent, dans les voies tracées par Henri IV et par Richelieu, ainsi Lénine et Tchitchérine, bon gré mal gré, reprennent à leur compte les desseins de la Grande Catherine et de ses successeurs. Mais aujourd’hui la Russie bolchéviste, ignorante et dépourvue de moyens techniques, est guidée par l’Allemagne instruite, méthodique, et forte de l’expérience acquise et des influences établies au cours de la guerre.

Il y a en Allemagne des généraux, des banquiers qui connaissent le bolchévisme comme s’ils l’avaient fait, et il y au Caucase et en Anatolie des Allemands qui ont appris à manœuvrer les peuples de l’Orient. Entre eux et ces peuples, quel intermédiaire plus efficace que l’organisation bolchéviste, avec ses multiples agents, unionistes, juifs, persans, afghans, hindous et arabes ? Nationalisme turc en Anatolie, nationalisme arabe en Syrie, en Mésopotamie et jusque sur les bords de la mer Rouge, agitations politico-religieuses en Perse, en Afghanistan et aux Indes : c’est un mouvement considérable, quoique jusqu’à présent mal coordonné, qui secoue depuis trois ans l’Asie Centrale et Occidentale. Il serait aussi imprudent d’en méconnaître la gravité, que de le considérer isolément. C’est en Russie, et c’est en Allemagne qu’il faut chercher l’explication de ce qui se passe à Téhéran et à Caboul, à Médine et à Bagdad, à Diarbékir et à Angora.