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pavoisées à l’occasion de la présence, en rade de Beyrouth, d’une escadre française : « Si j’étais le maître de ce pays seulement pendant huit jours, les Maronites paieraient cher leurs démonstrations d’amitié pour la France ! »

La victoire des Alliés interrompit l’exécrable entreprise et sembla, pour un temps, réduire à l’impuissance l’effort des Allemands en Asie. Cependant le plan conçu par les pangermanistes et remis au point par Ludendorff ne fut jamais complètement abandonné. A aucun moment, les Allemands n’ont perdu pied au Caucase. L’insurrection nationaliste devait bientôt leur rouvrir l’Anatolie ; et, un peu plus tard, le mouvement d’indignation et de révolte soulevé dans l’Islam asiatique par certaines clauses du traité de Sèvres leur offrait l’occasion d’élargir leur dessein et d’étendre leur action de propagande à toute l’Asie occidentale. Le but général, bien que les résultats de la guerre l’eussent éloigné, demeurait le même pour les Allemands : fonder sur la race turque et sur l’Islam leur domination en Asie ; mais ils y superposaient désormais un but plus immédiat : rendre intenables la position de la France en Syrie, celle de l’Angleterre en Mésopotamie ; unir entre elles les nations de l’Islam et les dresser contre les deux puissances qui avaient vaincu l’Allemagne.

Pour y parvenir, le concours apporté par les nationalistes turcs était insuffisant ; il fallait décupler cette force : la Russie en offrait les moyens. Le système fut bientôt monté : Talaat à Berlin ; à Moscou, le « Comité d’action pour l’Orient ; » au Caucase, Enver et les officiers allemands : Djemal en Afghanistan ; en Anatolie, les organes unionistes, secondés ou dirigés par la mission des Soviets.

Un ami de Moustapha Kemal, grand patriote et bon musulman, m’a fait un jour cet aveu : « Le panislamisme, par lui-même, est impuissant : il n’est pas armé, il n’a même pas un canif. Il ne devient dangereux que s’il est organisé, équipé, mené par le bolchévisme. » C’est exactement ce qu’avaient compris les Allemands. Le plus tragique de l’affaire, c’est que la politique des Alliés, loin de contrecarrer les efforts de la propagande germano-russe, semblait s’ingénier à lui préparer le terrain. En soulevant imprudemment la question de Constantinople, on avait posé du même coup celle du Califat : la cause des Turcs devenait celle de l’Islam tout entier. Pour la première