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fois, on vit les musulmans de l’Inde arborer l’étendard vert et s’armer pour défendre les droits du Calife de Constantinople. En Afghanistan et en Perse, des révoltes éclatèrent, où le zèle religieux exaspérait la violence du sentiment national. Un Anglais, qui connaît bien l’Asie, a pu dire avec raison que, par l’erreur persévérante et opiniâtre de quelques hommes, — les « Indiens » de Londres et de Constantinople, — le panislamisme, qui n’était qu’un idéal, devenait une réalité.

Avait-on assez souvent répété depuis dix ans, à Londres et à Paris que le Califat turc ne possédait plus dans l’Islam ni autorité ni prestige ! A force de l’entendre dire par les Grecs, on avait fini par le croire. Et voilà que les événements démontraient le contraire. L’établissement du Califat à Constantinople a évidemment contre lui quelques textes des livres sacrés musulmans. Mais il a pour lui six siècles d’histoire et d’acceptation, formelle ou tacite, de la plus grande partie du monde islamique. Les Musulmans de l’Inde et de l’Arabie distinguaient, il est vrai, le centre personnel de l’Islam, constitué par le Calife, du centre local, qu’ils placent dans les villes saintes et dans la région environnante. Plusieurs fois, ils ont envisagé la séparation du pouvoir spirituel du Calife d’avec la possession temporelle des saints lieux : ce système eût présenté l’avantage de diviser les responsabilités, au cas d’une guerre sainte ou d’une vaste agitation panislamique. Mais jamais l’idée anglaise, de transférer à la Mecque le siège du Calife, n’a été acceptée par le monde musulman. Tout cela avait été exposé très clairement d’abord à M. Lloyd George, puis au Conseil suprême, par le président de la délégation musulmane des Indes, Mohamed Ali, au mois de mars 1920. De l’enquête que je faisais un an plus tard à Constantinople, dans les milieux politiques, intellectuels et religieux, un fait se dégageait nettement : le Califat n’était peut-être plus une puissance positive ; mais il demeurait à coup sûr une puissance négative, en ce sens que toute attaque dirigée contre son autorité, ses droits, son indépendance, soulèverait aussitôt la protestation violente du monde musulman tout entier.

En menaçant l’indépendance du Calife, les Alliés avaient commis une faute, que Berlin et Moscou ne pouvaient manquer d’exploiter contre eux. Ils n’avaient qu’un moyen de la réparer, c’était d’offrir aux Turcs des conditions de paix raisonnables, et de s’entendre avec eux, simultanément à Constantinople et à