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l’échange des prisonniers et la définition des frontières, l’accord était relativement facile. Mais avant de conclure la paix, les gens d’Angora voulaient savoir quel sort les Alliés réservaient à Smyrne, à la Thrace, à Constantinople, et comment serait réglée la question des Détroits. Tandis que la diplomatie française, soucieuse de rendre possible, au moment voulu, une conversation décisive entre les Alliés et la Turquie, s’employait à favoriser le rapprochement entre Angora et Constantinople, une certaine diplomatie anglaise s’appliquait au contraire à renverser le cabinet Tewfik, pour le remplacer par un ministère hostile aux nationalistes.

Enfin, le 30 octobre 1921, M. Franklin-Bouillon, délégué à cet effet par le Gouvernement français, concluait avec Moustapha Kémal à Angora un accord franco-turc. Les Anglais, qui avaient tenté plusieurs fois d’aboutir à un résultat analogue, ont reproché à la France de s’être séparée de ses alliés et d’avoir conclu avec la Turquie une « paix séparée ». Nous n’avons pas eu de peine à justifier notre attitude et je ne crois pas utile de revenir sur une discussion qui s’est close à notre avantage. Je n’insiste pas, d’autre part, sur les imperfections de l’arrangement signé à Angora. L’accord du 20 octobre, c’est l’application médiocre d’un principe excellent. A l’heure où les nationalistes anatoliens, qui tout de même représentent l’élément le plus vivant, le plus agissant de toute la nation turque, hésitaient entre l’Europe et l’Asie, et où leur adhésion au système asiatique organisé par Berlin et Moscou eût exposé plusieurs puissances européennes à de très graves dangers, le devoir de ces puissances était d’user de modération envers les Turcs et de les détourner ainsi des résolutions extrêmes que suggèrent le ressentiment et le désespoir. En prenant la première ce parti raisonnable, la France ne s’est pas inspirée seulement de ses intérêts particuliers, elle a servi la cause de l’Europe et celle de la paix.


MAURICE PERNOT.