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Port-Marly, 22 août 1841.

« Mon cher ami,

« Pardonnez-moi les trop longs retards que j’ai mis à répondre à des paroles qui, venant de vous, ont été pour moi, dans l’accablement de la douleur, une consolation et un appui. Placé entre une vie de bonheur détruite pour jamais et une vie incertaine qui est à refaire, j’ai eu des semaines, des mois de vertige, durant lesquels je ne pouvais rien dire de moi qui fût une promesse de calme, de force et de résignation. L’amitié si noble et si douce, l’amitié de sœur qui m’entoure ici de soins et d’affection, m’a soutenu au milieu de déchirements et d’angoisses sans lesquels j’aurais succombé, si Dieu ne m’avait pas envoyé un pareil secours.

« J’ai mieux résisté à mon affreux malheur qu’on ne l’espérait et que je ne le pensais moi-même ; ma santé n’a pas décliné, du moins en apparence, mais au fond, il y a des menaces qui ont inquiété mes amis et leur ont fait désirer que dans l’arrangement de ma vie, j’eusse auprès de moi, pour aide et pour commensal, un médecin. J’ai cédé à ce conseil d’autant plus volontiers que le choix n’était pas difficile. Un jeune médecin qui comme assistant de M. le docteur Louis a rendu à ma pauvre femme, durant ses deux mois d’horribles souffrances, les soins les plus dévoués, M. Gabriel Graugnard, a été mon secrétaire, il y a sept ans ; depuis lors il m’est resté attaché de souvenir et d’affection. Il quittera pour se réunir à moi la place d’agent de la Société géologique de France et une clientèle médicale qui commençait à se former. Son caractère est bon et facile, sa raison très sûre et son intelligence applicable à tout. Mme la princesse de Belgiojoso, dont le jugement compte pour une grande part dans mes déterminations, a pour lui estime et bienveillance ; mon frère, Scheffer et M. Louis pensent qu’il me convient parfaitement.

« Protection sans tutelle, assistance amicale et pourtant subordonnée, voilà les deux conditions de la nouvelle vie qui commence pour moi, sans lesquelles je n’aurai plus ni liberté, ni dignité, ni force. La Providence m’a frayé la voie en m’ouvrant l’asile où je suis ; je m’occupe de faire le reste ; y réussirai-je complètement ?

« Le choix que j’avais à faire d’un logement, choix plus difficile pour moi que pour tout autre, est à peu près arrêté. Je prendrai le rez-de-chaussée d’un grand pavillon, situé au milieu