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de Mme Thierry ; elles semblent bien plus inexplicables aujourd’hui. Vous êtes seul, pourquoi fermer votre porte ? Pourquoi ne jamais demeurer seul avec ceux qui viennent vous voir ? Cette espèce de surveillance décourage les visiteurs et les froisse Encore une fois, mon cher Thierry, ceux qui viennent vous voir, viennent pour vous et pour eux ; il faut qu’ils puissent vous parler de leurs affaires, s’ils en ont. Ce ne sont pas des livres, ce sont des êtres vivants qui ne sont pas composés d’esprit seulement, mais aussi de cœur, d’âme et de caractère. Sans compter que la présence continuelle d’un tiers prend un aspect de défiance tout à fait révoltant.

« Pardonnez-moi, pardonnez à votre sœur son ton grondeur. Vous savez que de près comme de loin, je suis occupée de vous. Votre vie est bien un peu mon affaire maintenant et lorsque je l’ai arrangée comme il me semble bien, je ne puis consentir à voir mes arrangements laissés de côté [1]. »

Tant de promesses, d’encouragements et de conseils raffermissaient une âme dont les ressorts paraissaient brisés, la sauvaient du désespoir, lui restituaient la confiance et la foi dans l’avenir. Ce fut le grand bienfait de la princesse Belgiojoso à Augustin Thierry, de lui rendre le goût du travail et la fierté de son œuvre. Il n’est presque point de ses lettres où elle ne lui renouvelle à ce propos, au nom de son passé, de sa dignité d’écrivain, des engagements d’honneur qu’il a souscrits, du souvenir même de la morte, les appels les plus véhéments et les plus persuasifs : « Je n’aurai point de cesse, répète-t-elle toujours, que je ne vous aie remis la plume entre les mains. »

Elle eut la grande joie de réussir à provoquer la réaction morale qu’elle ambitionnait. L’historien reprit sa tâche abandonnée depuis huit mois, poussa fort activement la vaste Introduction synthétique, destinée à précéder son Recueil de Documents. A la fin d’avril 1845, remerciant Salvandy pour sa nomination de Commandeur, il l’avertissait en même temps que le premier volume des monuments du Tiers-Etat était envoyé à l’impression et que le second presque achevé devait suivre dans l’année. Peu après, il demandait au baron Walckenaer, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, de lui fixer un jour pour la lecture, en séance publique, d’un

  1. Lettre du 27 décembre 1844.