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ses désirs. Les aménagements intérieurs retenaient surtout son attention. Ses yeux morts, mais qui se souvenaient d’avoir admiré et compris la beauté, réclamaient l’agencement d’un décor, où rien ne vint offenser les regards. Il se montrait difficile, exigeant, réglant minutieusement chaque détail, choisissant les étoffes, désignant l’emplacement des meubles.

Mme de Belgiojoso courait avec bonne grâce magasins et boutiques, rapportant les popelines, les damas de laine, les mousselines brochées ou les toiles de perse. Ils n’avaient pas toujours les mêmes goûts et c’étaient alors d’affectueuses discussions sur l’éclat d’un coloris, l’harmonie d’une nuance. Augustin Thierry n’accepta qu’après un long débat, pour son salon, certain papier gris de lin à reflets d’or, dont la tonalité discrète avait enchanté sa compagne.

Ainsi coulait le temps à Port-Marly, apportant à l’infirme ses premiers jours de détente heureuse, depuis la mort de sa femme, avec un plaisir d’intérêts nouveaux qui distrayait son esprit et l’attachait à l’avenir. Douceurs trop éphémères. Vers la fin de septembre, de mauvaises nouvelles parvinrent de Locate à la princesse. Là-bas, tout périclitait en son absence ; la fabrique de gants fermait ses portes, les paysans retournant à leurs habitudes de crasse et de paresse, quittaient leurs maisons-modèles et désertaient l’école ; la cuisine populaire n’avait plus de clients. Quelques mois encore et l’œuvre poursuivie à si grands frais, au prix de tant d’efforts, serait à jamais compromise. Des rapports aussi désastreux troublèrent profondément Donna Cristina qui se considérait comme engagée d’honneur à la rénovation qu’elle avait entreprise. Elle résolut de retourner en Lombardie. Afin d’éviter cependant à celui qu’elle avait bercé de tant d’espérances, la déconvenue d’une séparation nouvelle, elle lui proposa sérieusement de l’emmener en Italie. A l’en croire, ses amis de Milan réserveraient un accueil enthousiaste à l’historien français qu’ils admiraient le mieux, au champion des vaincus et des opprimés. Elle l’assurait de tout leur empressement, de toute leur sollicitude. A Locate, ils continueraient de mener ensemble la vie qui leur était chère et, pour épargner toute fatigue au paralytique, elle traça même l’itinéraire d’un voyage par eau depuis Chalon-sur-Saône.

Ce fut pour l’entreprenante princesse, une surprise un peu dépitée, lorsque Augustin Thierry déclina son aventureuse