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le nom seul est peut-être encore plein de nouveaux orages [1]. »

Même profession de foi dans cette lettre à la princesse Belgiojoso : « Et campos ubi Troja fuit... J’applique ce triste vers à notre régime monarchique, si merveilleusement continué durant plus de sept siècles pour être à la fin et en même temps traditionnel et libre. Les princes d’Orléans étaient nos princes légitimes comme Bourbons constitutionnels ; ils ont perdu le trône et nous la liberté, la seule liberté possible pour les grands Etats et la civilisation moderne. »

Nous pourrions multiplier ces extraits, ils produiraient tous un identique témoignage. C’est, en effet, qu’indépendamment des regrets laissés au penseur par la monarchie tombée, la République ne lui inspire que frayeur et répulsion. Elle signifie pour lui l’écroulement des principes de 1789, le triomphe des maximes de 1793 qui en « sont la négation, conduisent à l’anarchie et au chaos. » Parce qu’elle se confond avec la démagogie, dont elle encourage tous les bas instincts, elle mène tout droit au socialisme, avec sa conséquence inévitable, le communisme, destructeur de toutes libertés, auxquelles il substitue la plus avilissante tyrannie. Or, nous connaissons l’horreur d’Augustin Thierry pour le socialisme, cause principale de sa rupture avec Saint-Simon, et nous avons cité les jugements qui, pour être prononcés dans son âge mûr, représentent déjà l’opinion de sa jeunesse.

Durant ce tragique printemps de 1848, il suit avec une attention de jour en jour plus inquiète, la marche trouble des événements. S’il rend hommage à Lamartine ou à Dupont de l’Eure, il ne les aperçoit pas moins hésitants et timorés, débordés par les meneurs de la « Révolution prétendue philosophique, » les prêcheurs de clubs, » tous les fous criminels déchaînés sur la France. »

« Le mauvais de la situation n’est pas dans les hommes, mais dans les choses ; la majorité du gouvernement provisoire est admirable, les hommes du National sont pleins de sens et de cœur. Lamartine a des moments sublimes d’éloquence et de courage, mais sa force ira-t-elle jusqu’au bout ? Sera-t-il contraint de quitter la place seul ou avec les meilleurs ? Seront-ils tous balayés par une avalanche ? Voilà ce qu’on se demande

  1. Lettre à M. d’Espine, 17 avril 1848.