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Augustin Thierry n’entend point une Cassandre qu’il juge inspirée par la rancune et dont il met volontiers les alarmes au compte de son exaltation. La monarchie constitutionnelle est toujours à ses yeux le Gouvernement définitif, que les Français doivent bénir le ciel de leur avoir accordé. Convaincu de sa durée, il ne veut apercevoir ni ses causes de faiblesse, ni les dangers qui le menacent. Sa confiance est si profonde, qu’il a même fait venir près de lui la plus jeune de ses nièces, sa filleule Julie, désireux de retrouver à son foyer une intimité de famille.

C’est donc en pleine sécurité que vient le surprendre le coup de foudre de Février.


LA « CATASTROPHE » DE FÉVRIER

« Quand vint éclater sur nous la catastrophe de 1848, peut-on lire, dans la préface de l’Essai sur l’histoire du Tiers-Etat, j’en ai ressenti le contre-coup de deux manières, comme citoyen d’abord et comme écrivain. Par cette nouvelle révolution... l’histoire de France me paraissait bouleversée autant que l’était la France elle-même. » Consternation, regrets inconsolables, angoisse de l’avenir, doute chagrin de son œuvre et de son idéal, tels sont les sentiments qui remplissent alors l’âme d’Augustin Thierry et que le temps n’affaiblira qu’à peine. Toujours, jusqu’à sa mort, il restera « un fidèle et un pleureur de 1830, » et n’oubliera jamais la « lune de miel de Juillet. »

Maintes fois déjà au cours de ce récit, on a pu trouver formulée par celui-là même qui avait tant célébré les efforts de la bourgeoisie au Moyen Age, l’expression de sa tendresse raisonnée pour le régime dans lequel il aperçoit si parfaitement réalisée « l’alliance de la tradition nationale et des principes de liberté. » L’heure de son désastre, s’il rend cette conviction douloureuse, ne fait que l’enraciner davantage.

A chaque instant, sa Correspondance nous apporte, avec l’affirmation d’une certitude désolée, l’écho de sa tristesse et de ses anxiétés : « J’avais arrêté à 1830 tous mes désirs et tous mes rêves politiques. Je n’ai rien compris à l’opposition fougueuse que des hommes d’esprit et de patriotisme faisaient au Roi le plus sensé et le plus patriote que la France ait jamais eu. Ils ont amené sans le savoir et sans le vouloir cette République dont