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la société, si elles ne sont pas une mine qui éclate sous elle.

« À ce propos, je crois que le vers de Virgile, qui vous rend si triste, ne ment pas tout à fait à votre égard. La terre est ce qui tiendra le plus longtemps dans les mains de ceux qui la possèdent. C’est la chose la plus résistante, elle sera grevée et regrevée bien des fois, avant d’être partagée, suivant les Babouvistes, ou de tomber dans le domaine de l’État, suivant les socialistes de toutes couleurs. On peut donc vous dire avec le poète : ergo tua rura manebunt, et, par comparaison du moins, vous appeler heureux. Les capitaux partiront avant la terre et avant les capitaux, tout avantage possédé à un titre intellectuel. Pour moi, la chose est déjà faite ; ç’a été un balayage complet. La République m’a traité comme l’un des abus du dernier règne. Rendez grâces à Dieu de ce que vous n’êtes pas seulement un auteur plein de grâce et d’esprit.

« Adieu, Monsieur et ami, pensez à moi dans vos promenades solitaires et me croyez tout à vous de haute estime et de sincère attachement. »


Dans cette lettre, où l’historien du Tiers-État montre une si claire prescience des félicités réservées à l’univers par le collectivisme intégral, une phrase fait discrètement allusion aux préjudices matériels que lui a causés la Révolution.

Ceux-ci ne laissaient pas d’être considérables, si l’on s’en rapporte à d’autres aveux moins déguisés, épars dans la Correspondance. » La catastrophe de Février, et ses suites, se plaint-il en 1850 à M. de Circourt, m’ont enlevé 10 800 francs de revenus, qui sont irrévocablement perdus pour moi et, malgré tous mes efforts, je n’ai jamais pu retrouver un centime. » L’un des premiers actes, en effet, du Gouvernement provisoire avait été de supprimer les pensions littéraires accordées par Louis-Philippe et l’Assemblée Constituante, malgré les efforts de Lamartine, ne les ayant pas rétablies, toutes celles, qu’à des titres divers touchait Augustin Thierry, avaient cessé d’être payées. Il en résultait pour lui un désarroi financier d’autant plus inquiétant qu’il s’était endetté pour meubler à neuf son pavillon du Mont-Parnasse.

Les alarmes qu’il éprouve à ce sujet se traduisent en confidences accablées. » La Révolution m’a rudement appris que je n’étais rien, rien qu’un des abus du régime brisé par elle et la folie que j’ai faite, après votre départ, de meubler mon salon