Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pure et la logique. Nous avions été séparés par une catastrophe imprévue de notre grande histoire, de celle de huit siècles ; nous ne pouvions plus y rentrer, parce qu’elle était malheureusement divisée contre elle-même : nous nous sommes amarrés à la petite, à celle du Consulat et de l’Empire et nous nous y sommes accrochés, comme les gens qui se noient, avec frénésie.

« Voilà le fond des choses. On a beau rechigner en paroles et multiplier les épigrammes, il n’y a pas d’épigrammes qui puissent prévaloir contre cela : le 24 février portait en soi le 2 décembre, et le 2 décembre portait l’Empire [1]. »

Augustin Thierry verra les premières années, les années heureuses du nouveau règne, sans en subir le prestige. Cette apparente prospérité demeure fallacieuse à ses yeux. Fidèle aux principes de l’école libérale de 1822 qui ont décidé les convictions de sa vie, il ne cessera point de considérer l’Empire comme un régime d’accident, promis, de par son illogisme même, à toutes les vicissitudes, parce qu’il brise la tradition nationale, entrave le développement normal du pays, dont il a bouleversé l’histoire.

L’heure de l’action est passée pour lui et ses infirmités le retiennent à l’écart de la mêlée. Son opposition restera donc toute doctrinale et académique, non pas même frondeuse comme celle de Villemain, mais plutôt distante et hautaine comme celle des Cousin, des Guizot et des Sacy. Vainement, Fortoul, qu’il a protégé au temps de ses débuts universitaires, avec lequel il a longtemps maintenu des rapports amicaux, voudra-t-il essayer de la séduction, faisant miroiter à ses yeux la plaque de grand-officier ; l’apologiste de 1830, le contempteur du césarisme, ne se ralliera jamais à Napoléon III.


A. AUGUSTIN-THIERRY.

  1. Lettre à la princesse Belgiojoso, 19 décembre 1852.