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ne pouvant, dans sa pensée, conduire qu’à deux solutions, l’anarchie socialiste ou la dictature, il préfère encore cette dernière, malgré ses répugnances, au « chaos de honte et de sang. »

Après l’élection du 10 décembre, sa conviction est faite : c’est la marche à l’Empire : « Ou ce qui se prépare, ou l’anarchie complète, prévient-il lady Rolland, voilà la triste alternative où le pays est placé ; la France continue à boire le calice de sa révolution républicaine : c’est ce qu’il faut dire en baissant le front et la honte date pour nous de ce jour-là. » Le coup d’Etat ne lui cause donc aucune surprise, mais non plus aucune révolte. Il l’accepte sans joie, comme le remède héroïque qui doit permettre au pays de se sauver du pire.

C’est le sentiment qu’il exprime à la princesse Belgiojoso, aussitôt après le plébiscite : « Je ne sais si Mignet vous a écrit depuis les derniers événements, il est profondément triste de l’exil de Thiers à qui la France est interdite. Quant à moi, j’ai vu disparaître le régime parlementaire, ce rêve de ma jeunesse, cet objet de tous mes vœux de publiciste, avec une douleur véritable, combattue, mais non tempérée par le sentiment de l’horrible danger vers lequel nous marchions à grands pas. Je me suis trouvé dans l’état d’un homme qui se sent la vie sauve et qui sent aussi qu’il a perdu tout ce qui faisait le prix de sa vie. »

Et quelques mois plus tard, résigné, mais non converti, réfractaire à l’enthousiasme soulevé par la proclamation de l’Empire, il porte sur l’enchaînement des circonstances qui le rendirent inéluctable le jugement réfléchi de ses méditations d’historien.

« Je ne suis pas prophète, mais j’ai dit au lendemain du 24 février que telle était la fin dernière de cette triste et incroyable folie d’une république française. C’était forcément l’anarchie, et, pour en sortir, toutes les portes se trouvant fermées, hors une seule, on devait s’y précipiter. Le vote du 10 décembre 1848, que nos amis orléanistes regardaient comme une illumination de l’instinct national, menait, même sans un coup d’Etat, au vote du 20 décembre et, comme les nations, une fois lancées, vont aussi droit et ne s’arrêtent pas plus qu’un boulet de canon, le 20 décembre, c’était la restauration de la dynastie impériale.

« Il se peut que mon métier d’historien me fasse illusion, mais je vois là une preuve de la puissance de l’histoire dans les affaires humaines qu’on s’imagine gouvernées avec la raison