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française : le dilettantisme anarchiste de l’un s’opposait trop fortement au moralisme traditionaliste de l’autre pour ne pas troubler, en cette fin de siècle, bien des consciences inquiètes et des intelligences anxieuses. Au total, époque de transition, d’incertitude et de confusion, que Brunetière, dès son second article, caractérisait fort justement d’un mot : « Ce qu’il y a de certain, écrivait-il, c’est que la poésie, comme aussi bien l’art en général, comme la philosophie, comme la religion, traversent en ce moment une crise dont il serait présomptueux de vouloir prédire ce qui en sortira. »

Au point de vue politique et social, la situation ne laissait pas d’être aussi un peu trouble. Sans doute, la France s’était matériellement relevée du désastre de 1870 avec une promptitude qui avait tout à la fois surpris et inquiété nos vainqueurs : les affaires étaient prospères ; nos forces militaires reconstituées nous avaient procuré l’utile dédommagement d’une fructueuse expansion coloniale ; on parlait moins, si peut-être on y pensait toujours, de la blessure inguérissable, et les temps paraissaient revenus de cette douceur de vivre qui forme l’un des charmes de la vie française[1]. Mais, au lendemain de la mort de Gambetta, le régime politique que le pays s’était donné n’était pas encore très solidement assis ;: les luttes des partis étaient très vives ; la France n’avait pas retrouvé encore cet équilibre intérieur qu’elle devait mettre près d’un demi-siècle à reconquérir, et qui est, nous le voyons mieux aujourd’hui, le meilleur fruit de la victoire : elle souffrait à son insu de sa défaite et, mal résignée, elle usait dans des discordes civiles une activité qu’elle sentait limitée et qui ne savait pas toujours où se prendre.

À ces impressions qui lui arrivaient de tous les coins de l’horizon, le jeune écrivain se prêtait avec complaisance. Il lisait, il observait, il causait, il écrivait, et, sans grand succès, il essayait de se faire lire. Il ne trouvait pas d’éditeur pour un recueil de nouvelles qui devait s’intituler le Départ pour la vie, pour un volume d’essais sur le Nihilisme contemporain ; la Nouvelle Revue lui refusait les jolies pages qui débutent par la phrase célèbre : « Toujours triste. Amaryllis ![2] « Bref, il

  1. Eugène-Melchior de Vogué, dans sa réponse au discours de réception de M. Maurice Barrès (Sous les lauriers, Paris, Bloud, 1911, p. 246-247), a vivement peint cette heure de « convalescence. »
  2. Cette nouvelle alexandrine, proche parente de Thaïs et d’Aphrodite, est l’un des premiers essais de M. Barrès après son arrivée à Paris. » Leconte de Liste… m’avait demandé de lui remettre une nouvelle ou un poème. Je n’ai jamais su faire de vers. J’écrivis ces pages. » (La Vierge assassinée, Paris, Sansot, 1904, p. 6), imprimée dans les Taches d’encre (février 1885), sous ce titre : les Héroïsmes superflus, elle a été reproduite dans Sous l’œil des Barbares, puis publiée à part en 1904 sous ce titre la Vierge assassinée.