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éprouvait à percer toutes les difficultés qui sont le lot ordinaire des débutants et qui les enferment dans un cercle vicieux souvent inextricable, et parfois presque tragique : car pour se faire imprimer, il faut être connu, et pour être connu, il faut se faire imprimer... Las d’attendre, impatient d’arriver à l’audience du grand public, il eut l’idée de forcer son attention en fondant une petite revue mensuelle, les Taches d’encre, qu’il rédigerait à lui tout seul. Et un soir du mois de novembre 1884, — Mme Clovis Hugues venait de tuer un diffamateur du nom de Morin, — on vit des hommes-sandwich promener sur le boulevard des affiches ainsi libellées : Morin ne lira plus les « Taches d’encre. « Hélas ! Morin ne fut pas le seul à ne pas les lire. Les quatre livraisons invendues des Taches d’encre vinrent s’entasser dans les caves d’un administrateur infidèle... Et après quelques mois de repos nécessités par un peu de surmenage, l’apprenti journaliste reprenait son obscure collaboration à des revues et à des journaux qui ont assez vite sombré dans l’oubli.

Ces cinq ou six années de production juvénile n’ont pourtant pas été perdues pour le futur romancier de Colette Baudoche. D’abord, le grand journaliste qu’il a toujours été y a appris son métier : car « c’est un métier, a dit La Bruyère, de faire un livre comme de faire une pendule, » et la remarque s’applique également aux articles de journal. Et ces articles que le jeune étudiant dispersait un peu partout ont un réel intérêt : on y saisit sur le vif les tâtonnements de l’écrivain en formation et en quête de son style et de sa vraie pensée : on y voit germer des idées et des préoccupations qui ne s’épanouiront que beaucoup plus tard. Beaucoup plus clairs et plus dépouillés que les livres qui ont suivi, ils sont peut-être plus révélateurs de la personnalité qu’ils expriment et, en tout cas, ils en font mieux pressentir les transformations ultérieures. C’est que le journalisme, avec tous les dangers qu’il comporte et les défauts qu’il encourage et que, peut-être, il implique, offre un très grand avantage : il force l’écrivain à sortir de soi, il le mêle à l’actualité changeante de la vie quotidienne et réelle, il lui pose