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Aujourd’hui, rien ne subsiste de cette effervescence. Les portes sont hospitalièrement ouvertes. Je passe sous la voûte monumentale de Phelps Hall, et me voici dans le vieux Campus. Au sortir des rues monotones et banales, avec leurs maisons en briques, d’un rouge vif ou d’un jaune sale, faites pour l’usage plus que pour flatter l’œil, j’éprouve la plus brusque des surprises. J’ai devant moi un rectangle de quelque huit cents pieds de long sur quatre cents de large, limité par des bâtiments collégiaux, aux architectures ambitieuses, se prolongeant en immenses façades percées d’une multitude de portes en ogive, de fenêtres cintrées ou à meneaux et çà et là surmontées de pignons aigus et de grêles clochetons. Tout le milieu est occupé par une pelouse que raient obliquement des passages dallés. Une barrière de bois, reproduction exacte de la « fence « qui autrefois séparait l’Université de la ville, enclôt cette cour verdoyante. Des arbres qui ne sont ni assez nombreux ni assez vieux pour obstruer la vue du ciel qui, à cette heure, flamboie, mettent un peu de vie bruissante sur le fond d’impassibilité silencieuse de la pierre. Le vert de leurs feuillages s’harmonise avec quelques pieds de lierre, qui, plantés par des classes successives, commencent à tisser sur les halls un frissonnant manteau. Quel contraste avec l’agitation furieuse du dehors ! Contre le rempart de ces murailles vient se briser le vacarme de la rue américaine, — la plus bruyante que je connaisse. Par comparaison avec la fournaise qui, sur les larges espaces ouverts, lance à cette heure des jets suffocants d’air surchauffé, c’est presque la fraîcheur. Les gazons demeurent verts sous la protection des hautes murailles et des arbres. De temps à autre, sans toutefois dissiper la langueur qui accable toutes choses, un souffle léger comme le soupir d’un dormeur s’éveillant de sa sieste, agite mollement les branches et fait tressaillir les ombrages. Je suis seul, sauf qu’un jardinier, sûr que nul surveillant ne viendra le relancer par cette chaleur caniculaire, en prend à son aise et fait une chasse indifférente aux premières feuilles qui tombent.

Il se dégage de cette scène un charme si pénétrant que j’en oublie presque où je suis. Aussitôt surgit le souvenir de sensations pareilles éprouvées dans la lointaine Oxford. Je me reporte à vingt ans en arrière et j’ai à nouveau l’émotion qui me saisissait lorsque, en temps de vacances, je m’aventurais dans