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le rectangle désert d’un antique collège. Quelque chose de l’atmosphère anglaise baigne le vieux Campus. Les liens qui rattachent une Université comme celle-ci aux traditions de l’ancienne patrie n’ont pas été complètement rompus. Les premiers colons qui fuyaient l’Angleterre et en maudissaient le Gouvernement, dans l’intimité de leur être, ne devaient pas concevoir la vie autrement qu’ils ne l’avaient vécue jusqu’alors. Révoltés politiques, leur rêve n’en était pas moins de reprendre l’existence qu’ils avaient menée là-bas. Les meilleurs parmi eux avaient été élevés à Oxford ou à Cambridge et ils s’appliquaient à recréer devant leurs yeux les images inséparables des souvenirs de leur jeunesse. Cet attachement à leurs origines était si fort qu’il s’est transmis à leurs successeurs, et ceux-ci, peut-être à leur insu, en sont encore tout pénétrés. Ces bâtiments de style collégial, combinaison de gothique et de Tudor, ne trahissent-ils pas, en effet, clairement le désir de perpétuer sur la terre d’adoption une vision qui fut chère aux fondateurs et de proclamer ainsi une filiation intellectuelle dont on est fier ? Qui donc ose prétendre que les Américains n’ont pas de traditions ? Mais leur besoin de se rallier à leur passé éclate partout dans ce rectangle qui épouse encore le tracé de la première et modeste fondation, dans cette tentative touchante pour copier une architecture qui ne fut jamais celle de ce pays, dans la piété enfin avec laquelle on conserve le souvenir et le nom du premier bienfaiteur, Elihu Yale, dont la donation, — cinq cents livres, — était pourtant bien minime comparée aux millions que de plus riches amis ont depuis libéralement versés dans les caisses de l’Université.

Et pourtant, dès qu’on s’est laissé aller à l’attrait d’évoquer un très vieux passé dans ce pays très neuf, avant même d’avoir épuisé la douceur de revivre des émotions chères, un revirement se produit. Je n’arrive pas à superposer l’impression ressentie dans ce Campus, pourtant si attachant, et les impressions pareilles éprouvées dans les médiévales Oxford ou Cambridge. Un instinct m’avertit qu’il y a dans cette analogie quelque chose de trompeur. Et l’esprit, une fois éveillé, distingue des différences qui se précisent vite au point de dissiper presque le charme qui les avait obscurcies. Dans la ligne trop nette de ces pierres taillées il y a une vigueur qui décèle une fausse vieillesse. Je prends le guide de l’Université et j’apprends en effet, que sauf