de droit toutes les hautes situations. Ici chacun est le fils de ses œuvres et le mérite est la seule pierre de touche de la valeur individuelle. Nous sommes tous égaux et nous avons tous mêmes « opportunités. » À ceux qui savent les saisir appartiennent le succès et la fortune. Et c’est bien en effet cette égalité, en apparence absolue, qui frappe tout d’abord l’étranger. Pas de pays où les différences extérieures aient été plus radicalement abolies. Dans la rue, au théâtre, au restaurant, dans tous les lieux publics, aucune hiérarchie, aucune tentative chez les uns pour faire reconnaître leur supériorité par les autres. Pas de préséances, pas de marques de respect. Vous vous trouvez nez à nez devant une porte, avec quelqu’un qui manifestement est de situation sociale inférieure à la vôtre, il se glisse le premier sans même s’excuser. Pourquoi pas ? C’était à vous d’être plus prompt que lui. Un domestique parle à son maître sur le ton de familiarité qu’il a avec ses pareils, et le patron est avec son employé sur un pied de confidentielle amitié. Évidemment le dogme de l’égalité originelle de tous n’est pas discuté.
Mais il n’en est pas moins vrai que l’observateur attentif qui ne s’arrête pas aux apparences peut découvrir sans trop de peine le lent établissement d’habitudes qui entament cet axiome de l’égalité absolue et nécessaire. La richesse se fait moins instable et tend à devenir héréditaire. Des dynasties se fondent de grands seigneurs de la finance et des trusts. Surtout, il s’introduit une tendance à mesurer le respect dû aux individus par la continuité des efforts dont ils sont l’aboutissement. Une sorte de classement se fait qui tient compte du temps, lequel apporte ainsi son coefficient et multiplie certaines valeurs. Et le parvenu d’aujourd’hui s’incline devant l’homme qui, à ses propres succès peut ajouter ceux d’ascendants dont le nom est associé à l’histoire de la ville ou du pays. En un mot, on est insensiblement amené à mettre la fixité du mérite prolongé à travers les générations au-dessus de réussites dues peut-être à des hasards heureux. J’en avais déjà eu l’intuition cet été. Il m’avait été donné d’observer dans un État du Sud un fait curieux qui m’avait fait songer. J’avais été invité à une fête des « Daughters of the American Revolution, » société qui n’admet comme membres que des dames ayant eu un ancêtre dans la guerre de l’Indépendance. L’existence d’une pareille organisation est en soi suffisamment significative. Mais, détail plus instructif, la Présidente était une