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audaces, nous abordons peut-être indiscrètement cette œuvre qui semblable à une jeune femme vêtue de soleil, allonge auprès d’un volume ouvert ses lignes harmonieuses, ses teintes fugitives, et songe, sous un voile fait de sourire, au passé qu’elle n’a pu revivre, à l’avenir où elle se veut survivre. En elle, toute émotion témoigne une chaste sensibilité, chaque parole une exquise délicatesse…

N’est-ce pas le même principe que nous retrouvons en ces phrases délicates, enlaçantes, qui font sourire juste pour refouler une larme, pour désarmer une indignation, et, préoccupées avant tout d’exactitude, ne troublent jamais plus par l’émotion la netteté de notre intelligence qu’un souffle ne ternit une glace ? Style distingué qui retombe le long de l’idée en plis nets et gracieux, sans entraver la marche, sans rechercher d’autres ornements que les impressions du lecteur ; style savant qui converse à toute heure avec les plus exquis des anciens, les plus savants des modernes, et dédaigne de s’en vanter ; style loyal qui, à force d’énergie, saisit, comme en se jouant, le mot propre et met en fuite la tourbe tentatrice des épithètes et des métaphores ; n’est-ce pas que nous y retrouvons ce même principe, le premier et le dernier de l’art, que toute œuvre, jusqu’au moindre détail, doit être traitée en harmonie avec la figure qui en fait le sujet ?[1]


Évidemment, un écrivain nous était né ; et l’on conçoit que le directeur de la Jeune France ait cru devoir mettre en note « L’auteur de cet article n’a pas vingt ans (c’est vingt-et-un qu’il faudrait dire), — âge que le lecteur ne devinerait probablement pas, si on ne le lui faisait connaître. »

Ouvrons maintenant les Taches d’encre. Avec quelques nouvelles d’une saveur un peu incertaine, nous y trouvons, sous le titre de Psychologie contemporaine, des études, manifestement apparentées aux Essais de M. Bourget, sur Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Rollinat, des Esseintes, Leconte de Lisle, études où l’on sent percer tout à la fois l’admiration et la condamnation du « décadentisme » en littérature. Un autre article surprend davantage sous la plume d’un écrivain dont l’activité semble tournée tout entière du côté des « ouvrages de l’esprit. » II est intitulé : Un mauvais Français : M. Victor Tissot. « Le patriotisme d’aujourd’hui, y déclare l’auteur, ne ressemble pas plus au chauvinisme d’hier qu’au cosmopolitisme de demain. Nous

  1. Les Hommes de la Jeune France : Anatole France (la Jeune France. février 1883, non recueilli en volume). — Il y aurait lieu de rapprocher cet article d’un autre article du Journal du 7 avril 1893 sur le même Anatole France (reproduit dans les Scènes et Doctrines de nationalisme, éd. originale, Juven, p. 48-50).