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trouvez-vous pas cela admirable ? J’ai signé un papier comme quoi je m’engage à rendre la somme moins de cinq ans après avoir mes grades. Si je rembourse dans le délai prescrit, je n’aurai à payer aucun intérêt. Si je dépasse l’échéance, je paierai un intérêt de six pour 100. Et j’ai eu de la chance. J’ai trouvé cette besogne qui me rapporte six dollars par semaine, le prix de ma pension. Les cent dollars que j’ai combleront pour cette année le déficit. Pendant les vacances, j’irai vendre des cartes postales aux chutes du Niagara. On m’a dit qu’on pouvait se faire facilement deux ou trois cents dollars de bénéfice. Cela me remettra en selle pour l’année prochaine. Et voilà monsieur, je suis tiré d’affaire ! Je suis sûr d’arriver !

— Et vous êtes beaucoup comme cela à Yale ?

— Plus de cinq cents sur les trois mille.

— Et vos camarades riches ne vous font pas sentir... comment dirai-je ?...

— Je vois ce que vous voulez dire. Vous pensez peut-être qu’ils me méprisent. Je ne le crois pas. Pourquoi le feraient-ils ?

Mon jeune ami avait dit vrai. Ils sont des centaines à Yale, les étudiants qui, selon leur expression, « work their way through the University, » — qui défraient leurs dépenses à l’Université en travaillant. Et Yale encourage ces vaillants. Elle fait tout ce qu’elle peut pour les aider. Elle accorde des bourses, elle donne des prix aux plus méritants. Elle leur prête de l’argent. Dans tous ses annuaires elle indique aux étudiants pauvres les moyens de se tirer d’affaire. Elle a même une organisation spéciale, le « Bureau of Appointments, » qui sert de trait d’union entre les employeurs intelligents et les étudiants besogneux, sorte de « clearing-house « de toutes les offres et demandes de travail qui se produisent à New Haven.

Admirable prévoyance de l’Université, qui trouve son intérêt à faire le bien, car elle s’assure ainsi le recrutement d’une élite aux énergies imbrisables ! Mais non moins admirable est cette foi en l’éducation qui anime même les plus pauvres, comme ce fils de contre-maître dont je viens de conter l’histoire. Elle est générale en Amérique, cette prosternation devant le savoir que l’on met avec soi comme un dieu tout-puissant dans la lutte pour parvenir. L’auteur d’Outre-Mer a déjà signalé ce fait. Depuis que je suis ici, je vérifie à tout instant la justesse de cette remarque. J’en ai eu surtout une frappante confirmation