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ville. C’étaient, chaque jour, cinq ou six heures d’études voraces, cours ou lectures, et pendant deux ans il avait non seulement appris beaucoup, mais encore acquis pas mal de ces « crédits «  dont la somme lui vaudrait le diplôme convoité. La guerre était survenue. Il était parti pour la France, où il s’était battu. Et au contact d’un peuple étranger il avait senti grandir encore son ambition.

— Voyez-vous, monsieur, m’expliquait-il, un titre de Columbia, acquis dans ces conditions, malgré tout, ce n’était pas grand’chose. Quand je regardais autour de moi, quand j’interrogeais le passé des hommes supérieurs que j’avais approchés, c’étaient tous des Harvard men, des Yale men. Ceux-là seuls avaient eu cette éducation de choix qui permet d’atteindre à tout. Je ne veux pas être un simple foreman, comme mon père. Et alors l’idée m’est venue d’aller moi aussi à l’une de ces vieilles Universités. Pourquoi pas ? En Amérique, quiconque veut réussir le peut. Mais comment faire ? La vie dans une institution comme celle-ci coûte cher. Pensez donc ! » Et il me fit le détail de ses dépenses avec la minutie et la précision d’un homme qui les avait maintes et maintes fois additionnées dans l’espoir d’en comprimer le total. « Deux cent quarante dollars pour les frais d’études ; trente dollars pour frais de laboratoires ; soixante-dix dollars pour ma chambre ; deux cents dollars pour ma nourriture ; nous arrivons déjà à un total de cinq cent quarante dollars. Puis, il y a les livres, le blanchissage, les menus frais. Je ne puis pas m’en tirer à moins de six cents dollars. Or, quand je suis revenu de France, j’avais à peine cent dollars. J’aurais pu avoir davantage, mais nous autres Américains, nous ne sommes pas comme les Français : nous ne savons pas faire à l’économie sa part. L’argent avait coulé entre mes doigts. Enfin !... Mais où trouver les deux mille quatre cents dollars nécessaires pour mes quatre années d’études ? Alors je me suis dit que si je continuais à aligner des chiffres sur le papier, je n’arriverais jamais à la solution du problème. I took my chance ! J’ai risqué le coup ! Yale m’avait toujours attiré. Je suis venu. J’ai expliqué mon cas. L’Université m’a accordé un prêt, qui me débarrasse pour l’instant des frais d’études. Ah ! monsieur, ajouta-t-il avec orgueil, c’est beau d’appartenir à un pays où tout est fait pour aider les courageux ! Ces prêts consentis par l’Université, ne