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brusquement, écorchant l’air de leurs sirènes. C’est la civilisation moderne qui me reprend, si différente de celle qui, il y a deux cents ans à peine, façonnait ce pays. Si différente ? Dans ce qu’il y a de plus extérieur peut-être, mais pas dans ce qui est intime. Les deux scènes auxquelles j’ai assisté, en moins de vingt-quatre heures, ne sont-elles pas la preuve que le vieux fond apporté par les premiers colons persiste ? Hier soir, j’ai vu combien les particularités physiologiques sur lesquelles reposent les caractères d’une race sont permanentes. Quelle distinction peut-on établir entre ces étudiants qui luttaient comme des tigres et les jeunes barbares que Matthew Arnold croyait discerner chez ses compatriotes ? C’est la même passion du jeu brutal, qui met sa gloriole dans un triomphe du muscle, que ce soit au football, dans un match de boxe ou dans une de ces mêlées sans règle. Peut-être y a-t-il seulement une question de degré, car ici le recours à la force a dû être exaspéré par la nécessité de briser une nature hostile. Et aujourd’hui, je viens de sentir combien cette autre clé de voûte du caractère anglais, le sentiment religieux, était encore solide. Cette grande force idéaliste qui a soutenu la primitive Amérique demeure encore active. Sans doute le Puritanisme n’est plus qu’un souvenir à Yale. L’Université se fait gloire d’admettre toutes les sectes et de n’appartenir à aucune. Mais le sérieux et l’ardeur que la vieille religion a déposés dans le cœur des premiers colons inspirent leurs descendants. Ainsi se retrouvent intactes, du moins dans cette partie de la nation, les deux traits les plus frappants de la race anglaise. La vie a pu changer, façonner les hommes à d’autres habitudes. Mais les corps et les âmes sont restés les mêmes et perpétuent une parenté que rien sans doute ne pourra effacer.


A. FEUILERAT.