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poète arabe. Cette belle Fatmah ouvre des bras grassouillets constellés de bijoux, des bras qui cherchent à étreindre le ciel, la terre et son Mohamed ! Un marmonnement me fait me retourner. Le vénérable mueddin de la mosquée me salue. Sa barbe molle comme la toison d’une brebis flotte sur sa poitrine.

— De ce minaret, m’explique-t-il, les yeux bridés par un sourire, je suis comme Dieu, je vois tout, tout, tout !

Après une pause, et comme pour me rassurer sur son aveu, il reprend :

— Mais je suis vieux, vieux comme le Mathusalem des Juifs. Ah ! parlons-en des juifs de Nedromah ! Ah ! ah ! nous en avons beaucoup de ce côté.

Son index tremblant me désigne une étrange rue verte, violette et indigo. Sur la chaussée, entre les façades aux tons effarants, passent de petits hommes fébriles et de grosses femmes dévoilées qui roulent comme des barques de porte à porte.

— Les juifs et les juives, ça ! déclare le mueddin.

Retourné vers la blanche cité arabe aux patios à treilles, il me montre, le long des rues inanimées, les hommes en djellabas brunes ou en burnous, accroupis dans la bordure d’ombre des seuils.

— Les Musulmans, ici ! fait le vieillard.

Il salue profondément et reprend :

— Sidi Chadli Ben Chélia vous attend. Il m’a prié de vous avertir.

L’étroit escalier descendu, nous traversons la mosquée dont les piliers massifs s’opposent à la poussée de voûtes sans prestige. Dans de vieilles torchères, des cierges ramollis par la chaleur, se prosternent. A leur clarté clignotante un splendide fidèle, agenouillé, lève les bras, puis les abaisse avec des gestes plus militaires que dévots. Ce croyant semble réclamer impérieusement à Dieu d’exaucer sa prière. Une fillette au teint de citron, moulée dans une tunique safranée qui dessine son corps de guêpe, s’avance, portant sur sa paume renversée, et le coude haut ployé, un verre d’eau. Aux oreilles de cette enfant, des boucles d’argent, larges comme des coupes, sont relevées et soutenues par des filets attachés à ses cheveux d’un roux vénitien. Quand elle atteint le redoutable fidèle, la petite musulmane, gracieusement inclinée, lui tend l’eau. Chadli Ben Chélia laisse un moment l’enfant penchée vers lui dans la posture