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turcisant, il avait reconnu du turc dans ces textes. Et, comme tous les parlers turcs sont semblables les uns aux autres et qu’ils ont peu changé durant les huit ou dix siècles pendant lesquels des textes permettent d’en suivre l’histoire, la traduction donnée par M. V. Thomsen était quasi définitive du premier coup.

Le procédé employé par M. V. Thomsen pour déchiffrer cet alphabet inconnu est celui grâce auquel l’Allemand Grotefend a commencé, en 1802, le déchiffrement des inscriptions cunéiformes de Darius et de Xerxès, posant ainsi la première pierre de tout le déchiffrement des textes cunéiformes, et grâce auquel, en 1822, Champollion a trouvé la clé des hiéroglyphes de l’Égypte. Ce procédé consiste à déterminer des mots qui ont chance d’être des noms propres connus : Grotefend a deviné Darius et Xerxès, Champollion a deviné Ptolémée et Cléopâtre, M. V. Thomsen a deviné un roi turc connu par des textes chinois. Une fois quelques caractères déterminés, si le texte à déchiffrer se trouve être composé en une langue connue, on a chance d’identifier quelques mots qui fournissent de nouveaux caractères, et, de proche en proche, tout l’alphabet finit par être déterminé, chaque trouvaille rendant beaucoup plus facile la découverte d’autres mots intelligibles et par suite la détermination de caractères non encore déchiffrés.

La condition, pour qu’une découverte de ce genre soit possible, c’est que la langue qui se cache sous l’écriture inconnue soit une langue connue au moins en partie. Si l’on a pu déterminer la valeur de tous les caractères des inscriptions cunéiformes des rois perses, c’est que le perse en lequel elles sont composées se laisse interpréter, pour la plus grande part, d’un côté par le persan qui en est la forme moderne, de l’autre, par des langues anciennes de type très voisin, la langue de l’Avesta, et, d’un peu plus loin, par le sanscrit. Mais, comme néanmoins le perse diffère sensiblement de toutes ces langues, il a fallu les efforts de toute une série de savants, — et entre autres, du Danois Rask, — et quarante-cinq ans de travail pour achever la lecture complète des inscriptions des rois perses achéménides. Si la langue que M. V.Thomsen a rencontrée n’avait été aussi voisine de parlers turcs déjà bien connus, le déchiffrement n’aurait été ni aussi prompt ni aussi parfait du premier coup. Mais ç’a été un triomphe de la méthode et de la pénétration de M. V. Thomsen que d’avoir, sans être turcisant, ajouté à la