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vertus, des vices, des passions. L’Antiquité leur fut le moment singulier d’une quasi vraie et quasi fausse humanité, historiquement fausse, idéalement vraie. Les hommes, — et aussi les femmes, — de la Révolution s’étaient épris de Plutarque ; sans lui, sans ce rhéteur ingénieux, sans cet éloquent bonhomme, le langage de la Révolution n’aurait pas été ce qu’il fut, très emphatique, absurde et assez beau, sans ce Plutarque hyperbolique et solennellement bavard qu’elle fît siéger à la Convention, la Fureur eût peut-être été plus laide encore en ses manières... Ainsi a vécu l’Antiquité parmi les tribulations des siècles.

Non la véritable Antiquité, sans doute : mais une Antiquité que les générations successives transforment à leur image, au gré de leur passion, de leur commodité, de leur intelligence, selon l’usage, — exorbitant, parfois, — qu’elles veulent en faire. L’Antiquité avait succombé, avec ses hommes, un beau jour : ce qui a subsisté d’elle n’est que l’idée que l’on en garde et qu’on n’en garde pas intacte. Et cette idée-là pour qu’elle dure, il faut qu’elle soit erronée, sans doute, et changeante. Il faut, en effet, que les siècles s’intéressent à elle ; or, l’égoïsme des siècles veut qu’ils s’intéressent au passé quand ils le sentent analogue à eux, quand ils le rendent analogue à eux, en quelque chose, et de cette façon l’emploient, l’exploitent, lui prennent la substance de leur pensée nouvelle et, bref, le manient à leur guise. Le contresens est l’inévitable loi qui a toujours dominé l’histoire des idées ; c’est à lui qu’est due, pour une part importante, la continuité morale des âges.

Il y a plusieurs années, M. Pierre de Nolhac s’était promis d’écrire une Histoire de l’humanisme. C’est dommage qu’il ait abandonné son projet. Cependant, il n’a point flâné : d’autres études l’ont diverti, belles études et qu’il a joliment traitées, avec une érudition gracieuse ; et la poésie l’a tenté, sans le décevoir. De son grand ouvrage, il aura composé deux chapitres : Pétrarque et l’humanisme, au temps de sa jeunesse, et voici Ronsard et l’humanisme, où l’on voit ce que fut l’Antiquité, pour les poètes de la Pléiade, pères de notre poésie.

Hormis Marot, qu’il trouvait gentil, Ronsard méprisait tous ses devanciers français. Je ne crois pas qu’il connût à merveille la poésie du moyen âge ; puis la récente poésie des Rhétoriqueurs ne méritait pas son estime. Aucun d’eux n’avait rien donné qui pût satisfaire un lettré que les poètes grecs et latins enchantaient. Au surplus, nos meilleurs poètes, durant la première moitié du XVIe siècle, écrivaient en latin. La poésie française était dans le marasme. Il semblait que