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l’on dût choisir : ou n’être qu’un poète de langue morte, ou rimailler « en vulgaire « un peu sottement. Ronsard écarte cette alternative déplaisante.

Contre l’usage d’écrire en latin, écoutez-le : « Je te conseille d’apprendre diligemment la langue grecque et latine, voire italienne et espagnole ; puis, quand tu les sauras parfaitement, te retirer en ton enseigne comme un bon soldat et composer en ta langue maternelle, comme a fait Homère, Hésiode, Platon, Aristote et Théophraste, Virgile, Tite Live, Salluste, Lucrèce et mille autres qui parlaient même langage que les laboureurs, valets et chambrières. Car c’est un crime de lèse-majesté d’abandonner le langage de son pays, vivant et florissant, pour vouloir déterrer je ne sais quelle cendre des anciens... » Ces lignes sont admirables ; et l’on y sent le patriotisme de Ronsard. Il ne veut pas que la majesté de la France vivante et florissante soit lésée par un affront fait au langage de ce pays. Et il se moque des mauvais fils de la France qui prennent leur parti d’emprunter un idiome étranger : « Comment veux-tu qu’on te lise, Latineur, quand à peine lit-on Stace, Lucain, Sénèque, Silius et Claudian ?... Et tu veux qu’on te lise, quand tu as appris en l’école à coups de verges le langage étranger, que sans peine et naturellement ces grands parlaient à leurs valets, nourrices et chambrières ?... Je supplie très humblement ceux auxquels les Muses ont inspiré leurs faveurs de n’être plus Latineurs ni Grécaniseurs, comme ils sont plus par ostentation que par devoir, et prendre pitié, comme bons enfants, de leur pauvre mère naturelle ! « La poésie latine de son temps, Ronsard l’appelle un « bouquet fané » : il en refuse l’odeur.

Les savants appelaient le français « langage vulgaire » et ne le jugeaient pas digne de rendre leurs idées. Voilà ce qui fâche Ronsard : il n’admet pas que la France n’ait point sa langue et sa littérature. Va-t-il se ranger parmi les ignorants ? Ce fut son entreprise, de créer un vocabulaire et une poésie de chez nous. Il fallut recourir à l’Antiquité, mais pour en faire du français.

Le passage que j’ai cité, qui est si beau, est un passage du Discours sur la poésie héroïque, publié après la mort de Ronsard et composé par lui probablement à la fin de sa vie. Alors, son œuvre est accomplie, l’œuvre de créer un vocabulaire et une poésie de chez nous. Alors, il écrit : « N’eût été le chant de nos églises, et psaumes chantés au lutrin, longtemps y a que la langue romaine se fût évanouie, comme toutes choses humaines ont leur cours... D’une langue morte l’autre prend vie, ainsi qu’il plait à l’arrêt du destin et à Dieu,