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modérée, franche, amicale, mais nous savons que nos alliés « ne se froisseront jamais de nous voir soutenir, avec une courtoise fermeté, les intérêts de la France, comme eux-mêmes ils soutiennent les leurs. »

Et M. Poincaré, fort de l’approbation du Parlement et de la confiance du pays, s’est mis à l’œuvre. Avec l’Angleterre il reprend, par la voie diplomatique, la conversation. Les points de vue des deux pays sont à la fois très voisins et très éloignés ; le discours par lequel M. Lloyd George a voulu, le 21, répondre à la déclaration de M. Poincaré en est une nouvelle preuve. Ils sont très rapprochés, en ce sens que les deux Gouvernements veulent, au fond, la même chose et visent au même résultat : faire régner l’ordre, rétablir la vie économique normale, consolider la paix et ramener la prospérité dans le monde. Ils sont très éloignés par la conception des méthodes à employer pour y réussir. La France accepte d’aller à la Conférence de Gènes ; elle prouvera une fois de plus qu’elle souhaite autant que toute autre nation la reconstruction générale de l’Europe ; mais elle entend d’abord obtenir les garanties nécessaires et surtout préparer, par des négociations préalables, un programme précis et limité pour ce grand Parlement universel des peuples. Elle ne se fait d’illusions ni sur l’efficacité d’une telle manifestation, ni sur ses dangers. Le programme de M. Lloyd George rappelle par bien des traits celui que M. Nitti a récemment tracé dans son livre l’Europa senza pace ; ce rapprochement ne suffit pas à le recommander à notre approbation. Comment ne pas rester sceptique sur les résultats d’une combinaison qui consiste à confier l’exploitation des richesses de la Russie à une société par actions dans laquelle toutes les nations de l’Europe auront leur part ? Les espoirs exagérés que fait naître la Conférence de Gènes pourraient bien n’aboutir qu’à des déceptions : et l’on est tenté de conclure avec un excellent historien et journaliste, M. Lucien Homier, dans la Journée industrielle : « La dernière crise apparaît comme une réaction un peu exaspérée du sang-froid français contre un emballement international. » Dans la question russe, le point de vue français aura toujours quelque peine à se rapprocher de celui de l’Angleterre : la France souhaite une Russie forte et puissante ; l’Angleterre préfère une Russie politiquement faible et divisée mais économiquement prospère.

Les problèmes redoutables qui se dressent devant M. Poincaré ne seront pas résolus en un jour, et il serait dangereux qu’ils le fussent : précipitation n’est pas sagesse. Les Français font crédit