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de talent, jusqu’alors insoupçonné des autres, et peut-être de lui-même, et qui, d’emblée, lui conquit l’universelle notoriété que dix années d’écriture ne lui avaient pas encore assurée. Quand, en pleine crise panamiste, il fit paraître dans le Figaro l’article célèbre intitulé : Leurs Figures, chacun s’accorda à évoquer, à ce propos, le grand nom de Saint-Simon[1] : la République parlementaire avait trouvé en lui le plus vigoureux et le plus cinglant de ses portraitistes, le moins indulgent de ses annalistes.

Ayant échoué, en 1893, comme candidat à la députation de Paris, il entame, six mois durant, dans la Cocarde, dont il devient directeur, une campagne quotidienne en faveur du « socialisme fédéraliste. » Campagne fort intéressante, et qu’il a justifiée en ces termes : « Individualisme, voilà toujours notre formule. L’individu, qui suit jusqu’au bout son instinct, sa force intérieure, sa vertu humaine, a une tendance à se grouper, à se solidariser, selon ses affinités électives, d’après ses besoins, d’après ses aptitudes, d’après ses parentés, dans un corps social, et à devenir ainsi une unité dans une individualité plus large, dans cent individus, groupes locaux et moraux ![2] » Fait à noter ! comme s’il avait quelque peine à se détacher entièrement des influences allemandes, il est alors sous la dépendance de Hegel, dont la méthode et « l’admirable dialectique » l’enchantent, et dans lequel il voit, avec raison, le grand ancêtre du socialisme contemporain. » Nos différents socialismes, dit-il, sont la sensibilité de Rousseau ordonnée par la dialectique de Hegel. » Mais il n’a déjà aucun goût pour cette forme brutale, bureaucratique et autoritaire du socialisme qu’un disciple authentique de Hegel, Karl Marx, a fondé sous le nom de collectivisme, conception que peu à peu l’hégémonie allemande va faire triompher sur toutes les conceptions rivales, et dont nous voyons aujourd’hui les sinistres méfaits dans la

  1. L’article a paru dans le Figaro du 25 janvier 1893. Il n’a pas été recueilli en volume, mais il a été reproduit dans une petite brochure de propagande électorale : la Corruption parlementaire : les Scandales de Panama, Paris, Savine, 893. Et les passages essentiels en ont été repris dans le roman Leurs Figures.
  2. La Cocarde, 13 février 1895. — Les articles de la Cocarde n’ont pas été recueillis en volume, sauf quelques-uns dans Scènes et Doctrines du Nationalisme et dans le petit volume intitulé : De Hegel aux Cantines du Nord (Sansot, 1904). — Voyez aussi Henri Clouard, la « Cocarde » de Barrès, Nouvelle Librairie nationale, 1910.