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plus d’un casque à pointe, ce malfaisant sentiment. Rome savait aussi qu’il y avait de l’inquiétude dans les sphères catholiques allemandes : on y redoutait que Berlin ne voulût, comme après 1870, parachever aux dépens du romanisme la victoire poursuivie sur la France, et qu’un nouveau Sedan n’amenât un nouveau Kulturkampf. Tout le premier, affirmait-on, le cardinal Hartmann était peu rassuré. A la fin même de 1914, en réponse à la municipalité silésienne de Wartha, qui demandait qu’on autorisât les Rédemptoristes à ouvrir une inoffensive maison de retraite, le représentant de l’administration prussienne ripostait textuellement :


Je suis résolu de donner un avis tout à fait défavorable à l’ouverture d’un établissement aussi moyenâgeux, qui présente pour la science le pire des jougs et qui est entièrement jésuitique. A quoi servent les magnifiques victoires de notre armée, si nous prêtons la main, à l’intérieur, à une servitude cléricale ? L’histoire nous fournit l’exemple de la France et de l’Espagne pour nous montrer où en arrivent les peuples chez lesquels on procède de cette manière. L’Église catholique est le plus grand et le plus irréconciliable ennemi de l’État prussien [1].


Quelques mois de guerre avaient suffi pour ressusciter l’esprit et l’accent du Kulturkampf ; et l’administrateur qui signait ces lignes virulentes et pour qui l’anticatholicisme devenait l’un des aspects nécessaires du patriotisme germanique, avait nom Frédéric-Guillaume prince de Prusse. La Prusse se préparait à redire et à faire redire, au lendemain d’un triomphe qu’elle s’imaginait prochain, ce qu’elle avait dit après Sadowa, ce qu’elle avait dit après Sedan : que Luther était le vrai vainqueur, que la victoire politique et militaire devait être ratifiée par la consolidation du luthéranisme, et que la profession de catholicisme, — religion qui condamnait les nations à la décadence, — ne pouvait convenir à de bons citoyens de Prusse, à de bons soldats de Prusse. Et des échos survenaient k Rome, d’après lesquels l’Allemagne se proposait, en 1917, de célébrer, sur les sept collines mêmes, le centenaire de la Réforme, par l’érection d’un temple grandiose, auquel toutes les villes qu’avait illustrées Luther apporteraient leur tribut : Eisleben fournirait les fonts baptismaux, et Magdebourg

  1. Nouvelles religieuses, 15 mars 1920, p. 143.