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la chaire ; Erfurt apporterait la table de la Cène et Wittenberg, — la ville où s’affichèrent les thèses, — installerait les trois cloches qui, par leurs carillons sonores, attesteraient ce que Luther avait fait pour l’Allemagne et ce qu’à présent l’Allemagne faisait pour lui. Rome informée pouvait pressentir que le militarisme allemand, une fois vainqueur, mettrait au service de la Réforme sa force matérielle et son ascendant politique, que la dévotion de l’Allemagne à l’endroit de la Réforme s’épanouirait comme une manifestation même de l’orgueil allemand, et que dans un univers définitivement subjugué par le pangermanisme, la foi catholique deviendrait une disgraciée, une attardée facilement qualifiée d’intruse, une religion de vaincus. Et cette autre possibilité d’avenir, vers laquelle la victoire germanique aurait acheminé l’Europe, était plus alarmante encore pour le Saint-Siège que les malheurs que lui prédisaient, en cas de triomphe de l’Entente, les messagers de l’Allemagne.

Le sang coulait, d’un flot lent et continu ; la guerre se traînait ; le Pape, parlant de paix, était tantôt mal écouté, tantôt compris autrement qu’il ne le souhaitait. Dans la condamnation qu’il infligeait aux crimes commis contre la justice, il visait la violation de la Belgique ; expressément il faisait donner par son secrétaire d’Etat cette interprétation officielle de ses paroles ; mais l’opinion universelle, légitimement fiévreuse, n’accordait pas à ce commentaire de chancellerie l’équitable attention qu’il eût méritée. L’avenir demeurait obscur, opaque ; sur l’horizon du Vatican, deux amas de nuages semblaient se disputer le ciel, comme les armées, en bas, se disputaient la terre ; et deux groupes de commentateurs y lisaient des menaces pour l’avenir de l’Église, quelle que fût l’issue de la tragique bataille. Benoît XV, empruntant à sa foi même le contrepoison de ses anxiétés, ressaisissait, au delà et au-dessus des nuages, le limpide éclat des promesses éternelles, dont sa vie éphémère était pour un instant la servante : lorsque les spéculations des politiques l’assiégeaient trop indiscrètement, il cherchait un alibi dans son oratoire, et il l’y trouvait.

Mais il s’abandonnait à d’autres raisons de souffrir, à celles que lui multipliait son cœur. D’autres Papes purent éprouver une douceur à régner en pères sur la famille humaine : Benoît XV sentit aussitôt, dans cet honneur même, je ne sais quoi de cruel ; le spectacle de ses fils s’entredéchirant l’attrista pour