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contre lesquels il ne pouvait prévaloir rendait sa pitié plus éloquente, et plus pesante sa tristesse. Un jour de 1916, ayant mandé à Rome le cardinal Mercier, il écrivait pour lui, au bas de son portrait, ces mots sobres et décisifs, que bientôt allait commenter, dans la Belgique momentanément asservie, l’éloquence du cardinal : « Votre cause est aussi notre cause. » Ce mot dépeint Benoit XV, plus lumineusement que beaucoup de protocoles : parmi tant d’effusions de sang et de larmes, la chrétienté eut en lui, sans toujours savoir le comprendre, un chef qui s’associait à tout ce qui souffrait, et qui s’y voulait identifier, et qui faisait de toutes ces souffrances sa propre souffrance. Il devait mourir, prématurément, avant que se fût atténué le malaise universel ; et lorsqu’à distance, en son bullaire, on relira la série de ses actes, on y discernera, dans ce qu’ils ont de mélancolique et d’endeuillé, l’écho même d’une immense misère humaine et le souci scrupuleux d’en partager le fardeau.

Il fut le Père accablé d’une humanité accablée, et dans son âme meurtrie certaines profondeurs d’amertume demeuraient inaccessibles. Jérusalem enlevée à l’Islam, revanche de la foi ; la Pologne ressuscitée, revanche du droit ; la France rentrant en relations avec Rome, revanche du bon sens : ce furent là pour lui des occasions de se réjouir. Discrète et modeste demeurait son allégresse ; un peu d’exubérance, une légère note de triomphe, lui eût fait l’effet d’offusquer le deuil universel.

Cependant, de par le monde, amis et ennemis de l’Eglise, comparant la papauté de 1914 et la papauté des années 1919 à 1922, constataient et proclamaient que la Puissance pontificale avait acquis un rayonnement imprévu, et de nouvelles forces d’attrait. « On voit partout le catholicisme réoccuper, si j’ose dire, le haut du trottoir, » écrivait récemment, dans la Semaine littéraire de Genève, un distingué professeur de l’Université genevoise, M. Alexis François ; et sa plume, un peu mortifiée, s’emportait contre la révolution russe et contre ce qu’il appelait la défaillance américaine ; c’était la faute à Pétrograd, c’était la faute à Washington, si les idées de démocratie et de liberté s’étaient « senties mises en minorité » et si « les gouvernements et les foules, repris tout à coup d’un grand besoin de conservation et d’autorité, s’étaient instinctivement tournés du côté de l’Église romaine. » En mai 1920, au moment où dans Saint-Pierre de Rome Jeanne d’Arc glorifiée parut présenter la France