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toujours. Il y a des tristesses infécondes ; elles paralysent, et cette paralysie même leur est chère ; elles considéreraient le bon usage de la vie comme un affront aux raisons qu’elles ont de soupirer ; le gémissement leur tient lieu d’action. Telle ne fut pas la tristesse de Benoit XV. Encycliques et discours révèlent en lui un Pape d’activé compassion ; un Pape qui ne se plaint que parce qu’il plaint la misère humaine, et qui ne croit pas avoir rempli tout son office lorsqu’il a demandé à Dieu un regard pour cette misère, à cette misère un regard pour Dieu ; un Pape qui tient à apporter un remède, à panser les blessures, à lutter contre les fléaux. La majestueuse parole de Pie IX signifiant à Guillaume Ier : « Tous les baptisés m’appartiennent, » avait étonné les autres confessions ; il semblait que Benoît XV la transfigurât, et qu’il l’animât d’un nouvel accent, et qu’elle s’élargît et s’exaltât encore, lorsqu’il aspirait, en tant que représentant du Dieu dont tous les hommes sont les fils, à pousser le cri d’alarme pour toutes les détresses, et à les soulager. Tous les malheurs qu’essayaient de conjurer les antiques liturgies de l’Eglise assombrissaient son pontificat ; quatre ans et deux mois durant, il eut à réciter l’oraison pour la guerre ; puis on apprit que sur les rives du moyen Danube la misère physiologique sévissait, et plus loin, sur les bords de la Volga, l’atroce famine. « De la peste, de la famine et de la guerre, délivrez-nous. Seigneur ! » Ce verset des pieuses litanies, reprenant soudainement une vie imprévue, traduisait dans une partie de l’Europe la quotidienne oppression des âmes. Et les traditionnelles oraisons du rituel, priant Dieu d’éloigner la famine et d’ « accorder les aliments temporels à ceux qu’il rend participants des mystères éternels, » cessaient d’être des archaïsmes, routinièrement attardés sur des lèvres distraites ; elles prêtaient une forme, docilement liturgique, humblement implorante, à l’impérieux gémissement humain. Le Pape entendait, suppliait, lui aussi ; mais comme vicaire de Dieu, il sentait qu’à certaines heures la supplication redescendait vers lui-même, vers sa représentative paternité.

Alors se multipliaient ses appels et ses démarches, pour les prisonniers de guerre et pour les grands blessés invalides, pour les condamnés à mort et pour les déportés civils, pour les enfants rachitiques de l’Europe centrale et pour les millions d’êtres qui en Russie avaient faim. Mais l’acharnement des Iléaux bravait l’élan de sa bonne volonté ; et la vue de tant de maux