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foi. La famine lui a disputé ce morceau de pain, elle a levé vers la Providence des yeux qui ne l’accusaient pas. Ni la guerre, ni la spoliation, ni la famine n’ont réussi à la faire périr ni à la faire apostasier.


L’atmosphère où avaient retenti ces paroles était déjà chargée d’orages révolutionnaires. Quinze jours plus tard, ils avaient éclaté, promenant à travers l’Europe de foudroyants messages, installant çà et là le règne de la « liberté « : en Irlande, en ces mêmes années, de par la volonté de la puissance occupante, le règne de la famine avait été officiellement installé. Et l’Irlande esseulée, derrière la brume de ses mers, n’apercevait même pas les sourires libérateurs qui partout en Europe se flattaient d’illuminer l’avenir des peuples. Tout lui était refusé, même la consolation des prometteuses fictions.

Un peu moins profonde était la disgrâce de la Pologne : soit pour elle-même, soit contre le Tsar, on pensait à elle, et l’on bravait sa mise au sépulcre en élevant en son honneur des vivats. Mais la pierre sépulcrale apparaissait bien scellée. La voix de leurs évêques, les rapports souvent surveillés qu’ils entretenaient avec le Vatican, assuraient pourtant à la plainte de ces deux nations quelque écho dans le monde ; la colline Vaticane était le point de l’univers où se laissait percevoir le plus distinctement leur lointain murmure, constant et douloureux. Gênée par ce murmure, la diplomatie des grandes puissances tentait parfois d’en amortir le bruit ; mais on avait vu Grégoire XVI, dans un soubresaut.de rébellion contre ces influences endormeuses, faire savoir à la chrétienté qu’il prêtait l’oreille à la Pologne, et l’on avait entendu Pie IX, dans une allocution consistoriale, répercuter les gémissements qui, là-bas, ne pouvaient être qu’étouffés. Mais c’était en vain. Le principe des nationalités faisait preuve d’étranges timidités ou d’une équivoque partialité : on eût dit qu’il s’empêtrait, qu’il avait peur de lui-même, et peur de ses conséquences, lorsque l’Irlande, lorsque la Pologne, lui demandaient une aide.

Ces deux grandes victimes avaient un trait commun. Dans cette Europe du dix-neuvième et du vingtième siècle, où les sociétés politiques se montraient de moins en moins empressées à faire collectivement des actes de prière, la supplication de la Pologne, la supplication de l’Irlande, élevaient vers Dieu, au grand air, dans les rues et dans les carrefours, autour des prisons