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qui dure deux heures, porte exclusivement sur la Pologne et son avenir.

Dans tout ce qu’il me dit ou me laisse entendre, je retrouve l’écho des discussions qui, depuis la disgrâce de Sazonow, passionnent les cercles polonais de Pétrograd, Moscou et Kiew.

Il n’est pas douteux que l’autorité croissante du parti réactionnaire dans le Gouvernement impérial ajourne et complique le règlement de la question polonaise. D’une part, et malgré les succès de l’armée russe en Galicie, les Polonais sont convaincus que la Russie ne sortira pas victorieuse de la guerre et que le tsarisme aux abois se prépare dès maintenant à négocier avec les Empires germaniques une réconciliation dont la Pologne fera les frais. Sous l’aiguillon de cette pensée, ils sentent se ranimer toutes leurs haines de jadis ; ils y ajoutent un mépris sarcastique du colosse russe, dont la faiblesse, l’impuissance, les infirmités morales et physiques s’étalent aujourd’hui en pleine lumière. Mais, par cela même qu’ils n’ont plus aucune foi en la Russie, ils se croiraient dégagés de toute obédience comme de tout scrupule envers elle. Concentrant désormais leurs espoirs sur la France et l’Angleterre, ils élargissent démesurément leurs revendications nationales. L’autonomie sous le sceptre des Romanow ne leur suffit plus : il leur faut l’indépendance totale et absolue, la résurrection intégrale de l’État polonais ; ils n’auront de cesse qu’ils n’aient fait triompher leur cause au Congrès de la paix. Plus que jamais, ils dénient à l’Empire des Tsars le droit de régenter les peuples slaves, de parler en leur nom, de présider à leur évolution historique ; les Russes doivent enfin comprendre que, dans la hiérarchie de la civilisation, ils sont primés de beaucoup par les Polonais et les Tchèques...



Mardi, 15 août.

Chez un grand nombre de Russes, — je dirai presque : chez la plupart des Russes, — l’instabilité morale est telle qu’ils ne se plaisent jamais là où ils sont et qu’ils ne peuvent jouir de rien jusqu’au bout. Il leur faut sans cesse du nouveau, de l’imprévu, des émotions plus intenses, des secousses plus fortes, des joies plus pimentées. D’où, la recherche continuelle des excitants et des narcotiques, un insatiable appétit d’aventures et le goût passionné des égarements.