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Pour résumer la conversation qui vient de m’inspirer cette note, je n’ai qu’à transcrire le mélancolique aveu que Tourguenef met sur les lèvres d’une de ses héroïnes, la séduisante Anna-Serguéïewna Odintsow : « Pourquoi, même quand nous jouissons d’une audition musicale, d’une belle soirée ou d’une intime causerie avec quelqu’un qui nous est sympathique, pourquoi cette jouissance nous paraît-elle une allusion à un bonheur inconnu et lointain, plutôt qu’un bonheur réel dont nous jouirions positivement ? » Et l’ami, qui l’écoute, lui répond : « On n’est bien que là où l’on n’est pas ! »



Mercredi, 16 août.

Entre le Dniester et la Zlota-Lipa, les Russes poursuivent leur avance. Ils se sont emparés hier de Jablonitza.

Les négociations de Bucarest sont à la veille d’aboutir...



Vendredi, 18 août.

Bratiano et les ministres des Gouvernements alliés ont signé hier, à Bucarest, le traité d’alliance.

L’histoire dira si Bratiano a bien choisi son heure. Pour moi, je persiste à croire que, par excès de prudence ou de finesse, il a laissé déjà passer trois occasions beaucoup plus favorables que la conjoncture actuelle.

La première occasion était au début de septembre 1914, quand les Russes entraient à Lemberg. A cette époque, l’Autriche et la Hongrie, déconcertées, affolées, étaient incapables de défendre la frontière des Carpathes ; les Roumains auraient trouvé toutes les routes libres devant eux.

La seconde occasion était au mois de mai 1915. A cette date, l’Italie venait d’entrer en scène. Politiquement, et militairement, la Russie était dans toute sa force. Venizélos régnait à Athènes. Et la Bulgarie hésitait encore sur le parti à prendre.

La troisième occasion, enfin, était il y a deux mois et demi, au début de la grande offensive russe, avant l’arrivée des renforts allemands et turcs en Galicie et Transylvanie, avant que Hindenburg, « le maréchal de fer, » eût dirigé sur le front oriental tous les efforts de sa virtuosité stratégique.

Mais, dans l’action, il ne faut jamais s’attarder aux hypothèses