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— L’Empereur restera toujours l’élève de Pobédonostzew !

C’est en effet au célèbre Procureur suprême du Saint-Synode, ami et collaborateur intime d’Alexandre III, que Nicolas II doit toute son éducation morale et politique. Juriste éminent, théologien érudit, champion fanatique de l’autocratisme orthodoxe, Pobédonostzew apportait à la défense de ses doctrines réactionnaires une foi ardente, un patriotisme exalté, une conscience haute et inflexible, une vaste culture, une rare puissance de dialectique, enfin, — ce qui semblerait contradictoire, — une simplicité parfaite, un grand charme de manières et de conversation. Absolutisme, nationalisme, orthodoxie, tout son programme se résumait dans ces trois points et il en poursuivait l’application avec une rigueur outrancière, avec un mépris souverain des réalités qui lui faisaient obstacle. Conséquemment, il maudissait « l’esprit nouveau, » les principes démocratiques, l’athéisme occidental. Son action opiniâtre et quotidienne laissa, dans le cerveau malléable de Nicolas II, une empreinte indélébile.

En 1896, à l’époque même où il achevait l’instruction politique de son jeune souverain, Pobédonostzew publia un volume de Pensées. Je viens de le lire ; j’en extrais ces réflexions qui sont suggestives :

« Un des principes politiques les plus faux est le principe de la souveraineté populaire, l’idée, malheureusement répandue depuis la Révolution française, que tout pouvoir vient du peuple et a sa source dans la volonté nationale... Le plus grand des maux du régime constitutionnel est la formation des ministères selon la méthode parlementaire, fondée sur l’importance numérique des partis... On ne peut séparer le corps de l’esprit. Le corps et l’esprit vivent d’une vie unique et inséparable... L’État athée n’est qu’une utopie, car l’athéisme est la négation même de l’État. La religion est la force spirituelle qui crée le droit. C’est pourquoi les pires ennemis de l’ordre public ne manquent jamais de proclamer que la religion est une affaire personnelle et privée... La facilité avec laquelle on se laisse séduire par les lieux communs de la souveraineté populaire et de la liberté individuelle aboutit à la démoralisation générale et à l’affaiblissement du sens politique. La France nous offre aujourd’hui un exemple frappant de cette démoralisation et de cet affaiblissement ; la contagion gagne déjà l’Angleterre... »