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sûre que, à l’heure actuelle, il se reproche amèrement le renvoi de Sazonow.

— Alors, pourquoi les commet-il, ces erreurs et ces fautes ? Car, en fin de compte, les conséquences retombent directement sur lui.

— Parce qu’il est faible ! Parce qu’il n’a pas l’énergie de résister aux exigences et aux scènes de l’Impératrice !... Et puis, pour une autre raison encore et bien plus grave, celle-là : c’est qu’il est fataliste. Quand les choses vont mal, au lieu de réagir, il se répète que Dieu l’a voulu ainsi et il s’abandonne à Dieu !... Je l’ai déjà vu dans cet état d’esprit, après les désastres de Mandchourie et pendant les troubles de 1905.

— Mais, actuellement, est-il dans cet état d’esprit ? -

— Je crains qu’il n’en soit pas loin ; je sais qu’il est triste, qu’il s’inquiète de voir la guerre se prolonger sans résultat.

— Le croyez-vous capable de renoncer à la lutte et de faire la paix ?

— Non, jamais ; du moins tant qu’il y aura un soldat ennemi sur le territoire russe. Il en a fait le serment devant Dieu et il sait que, s’il y manquait, il compromettrait son salut éternel. Enfin, il a un haut sentiment de l’honneur et il ne trahira pas ses alliés. Là-dessus, il sera toujours inébranlable. Je crois vous l’avoir déjà dit ; plutôt que de signer une paix honteuse, une paix de trahison, il irait jusqu’à la mort...



Mercredi, 13 septembre.

Le général Janin me rend compte d’un entretien qu’il a eu avant-hier avec l’Empereur, à Mohilew, et qui malheureusement me confirme ce que Sturmer me disait il y a cinq jours.

L’Empereur lui a déclaré qu’il n’est pas en état d’expédier 200 000 hommes dans la Dobroudja ; il a allégué que les armées de Galicie et d’Asie ont subi de très lourdes pertes ces dernières semaines, et qu’il est obligé de leur envoyer tous les renforts disponibles. En terminant, il a demandé au général Janin de télégraphier au général Joffre qu’il le prie instamment de prescrire au général Sarrail une action plus énergique. L’Empereur a répété : « C’est une prière que j’adresse au général Joffre. »