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Jeudi, 14 septembre.

Depuis quelque temps, le bruit courait que Raspoutine et Sturmer ne s’accordaient plus : on ne les rencontrait plus ensemble ; ils n’allaient plus l’un chez l’autre.

Pourtant, ils se voient et confèrent quotidiennement. Leurs conciliabules ont lieu le soir, à l’endroit le plus secret de Pétrograd, à la Forteresse des Saints-Pierre-et-Paul.

La Bastille des Romanow a comme gouverneur le général Nikitine, dont la fille est parmi les plus ferventes dévotes du staretz. C’est par elle que s’échangent les messages entre Sturmer et Grichka : c’est elle qui va chercher Raspoutine en ville et qui l’amène dans sa voiture à la Forteresse ; c’est dans la maison du gouverneur, c’est dans la chambre même de Mlle Nikitine que se rejoignent les deux complices.

Pourquoi s’enveloppent-ils d’un pareil mystère ? Pourquoi ont-ils choisi ce lieu caché ? Pourquoi ne se réunissent-ils qu’à la tombée de la nuit ? Peut-être, sentant la haine universelle peser sur eux, veulent-ils cacher au public l’intimité de leurs relations. Peut-être craignent-ils que la bombe d’un anarchiste ne vienne troubler leurs entrevues.

Mais, de tous les spectacles tragiques dont la terrible prison d’État conserve le souvenir, en est-il un plus sinistre que les rencontres nocturnes de ces deux scélérats qui perdent la Russie ?


MAURICE PALÉOLOGUE