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quelque chose comme une dorure du sommeil diurne dormi dans la lumière.

J’appelle. Il est trois heures de l’après-midi. J’ai dormi longuement.

L’infirmière sourit et me dit que sont arrivés les musiciens.

J’entends venir de la petite pièce contiguë les accords du violoncelle et du violon.


La Sirenetta paraît sur le seuil. Elle porte une robe rayée, et sa belle tête brune émerge d’une grande collerette blanche, se déplaçant sur le col nu avec cette grâce particulière aux oiseaux et qui semble pour cela obéir à l’instinct du chant.

C’est un ange en tunique qui se détache d’une tribune florentine.

Elle précède la musique et l’annonce.

Les premières notes du cinquième trio du flamand Beethoven me touchent le cœur véritablement, corporellement, comme les baguettes battent le tympanon dans le marbre vivant de Luca della Robbia.

C’est le trio dit des Esprits.

Je l’écoute comme après la mort.

Les musiciens sont cachés ; ils sont de l’autre côté. La petite chambre close est comme une caisse harmonique.

Le piano, le violon, le violoncelle sont trois voix qui parlent comme dans un drame religieux, comme dans un mystère sacré.

J’ai également abaissé le bandeau sur mon œil vivant.

Quand, après la pause, les instruments commencent le largo, je vois une tache jaune se fondre dans une zone violette.

Puis je vois une draperie violette ourlée de jaune recouvrir un relief qui est celui du crucifix.

Les saillies des genoux déchirés soulèvent la draperie au milieu ; et quand le violon reprend le thème la draperie au milieu devient pourpre.

Et alors, je sens chaque fois comme un déchirement profond.

J’entrevois l’ombre de ma fille qui se penche sur mon visage.

Ses doigts légers touchent ma joue, sous les bandes, et se mouillent.

Par-dessus les larmes refroidies et visqueuses, s’échappent de mon œil perdu des pleurs chauds et fluides.