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La vie de l’âme emplit mes bandelettes.

Je ne me trompe pas. Je suis certain que l’onde a jailli du cil aveugle avant que de l’autre.

A présent mes deux yeux vivent d’une même vie sublime. Ce sont deux sources vivantes.

Je ne sais plus où est mon mal. Mon mal est un bien qui ne se connaît pas.

Mes pleurs débordent. Ma fille y a plongé les doigts, mais n’ose me les essuyer.

Je sens sa tête près de mon oreiller.

Et ma fille, la fille de ma chair, à moi qui suis au seuil de la vieillesse, ma fille dit une parole maternelle, la parole tendre que les mères disent à leurs petits enfants !

Je sens qu’avec cette parole elle me prend sur ses genoux, comme l’antique Pietà et supporte mes plaies.

Enivrez-moi de musique.

Faites-moi pleurer encore des larmes d’âme !

Touchez avec la mélodie le fond de ma plaie, pour y susciter les couleurs indicibles qui n’apparaissent que dans le spectre lumineux des étoiles !


Les jours passent, les heures se précipitent ; et chaque jour sans aube et chaque heure sans changement me retrouve cloué là.

Je ne veux pas guérir. Il me suffit de me cicatriser et de me ressouder. Je veux me remettre debout, je veux renaître.

Mes compagnons m’appellent, mes émules m’attendent. Là-bas, sur la ligne de feu, là-bas, dans le ciel de la bataille, il semble que chaque jour le sommet de l’héroïsme soit atteint ; et, le jour suivant, il y a un héros inconnu qui le dépasse.

Je ne me lèverai qu’avec la volonté de le surpasser.

Je sens, quand je me remettrai debout, je sens que je saurai mieux combattre.

De quelle adresse, de quelle ruse, de quelle astuce animales n’userai-je point pour suppléer à la diminution de ma vue ? J’aurai l’ennemi toujours à gauche ou de front, si Dieu m’aide. Comme mon sauvage Malatesta, je dirai : « Je vois encore avec l’autre. »

L’ardeur sera la même ; mais la hardiesse sera instruite par l’expérience, aiguisée par la patience.

Rien aujourd’hui n’a de mesure. Le courage de l’homme n’a pas de mesure. L’héroïsme est sans limites.