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Que dois-je terminer ?

Que dois-je commencer ?

Je découvre dans les choses une qualité physique nouvelle. Je sens dans tout ce que je touche, dans tout ce que j’entends une nouveauté admirable.

Quel nom donnerai-je aux constellations qui tremblent dans les lointains de ma douleur ?

Le mot que j’écris dans l’obscurité perd sa forme et son sens. Il est musique.

« O alouette, pour tes trilles il ne te suffit point du jour entier ! « 

Je songe encore à l’hymne matinal de mon compagnon perdu. Mon cœur rapide est assailli par je ne sais quel besoin de chant.

Le jardin est rempli d’abeilles sonores. Si je tends l’oreille, je crois entendre son bourdonnement.

Il me revient à l’esprit, comme un dessin de mélodie, un souvenir délicieux de la « Diane du Caucase. »

Elle avait de grands domaines... Près de l’étang, muet sous l’émeraude des canards sauvages, s’étendait un grand verger, un beau verger, où il n’y avait que des cerisiers.

Il était gardé par un vieillard barbu comme Charlemagne à la barbe fleurie. Et ce vieillard seul avait soin du rucher. Et les abeilles dociles s’assemblaient dans sa barbe blanche. Et sa barbe parfois devenait un long essaim d’or. Et lui, adossé au tronc d’un cerisier favori, ne bronchait pas. Il respirait doucement. Les yeux mi-clos, il chantait doucement une cantilène du berceau.


J’ai un désir si désespéré de revoir le ciel que par pitié on me porte près de la fenêtre.

Le soleil est couché. La lumière du crépuscule elle-même s’est atténuée. Plus rien ne peut me blesser.

Je suis presque étendu. Je fixe le ciel avec mon œil intact, et le ciel me pénètre comme si j’étais transparent.

Je suis comme une eau qui tremble, comme un de ces petits étangs salés qui restaient sur la plage sablonneuse devant ma maison d’exil, là-bas, dans la Lande.

La Sirenetta est accroupie à mes pieds. J’entrevois un bouquet d’iris foncé, derrière sa tête.

Il semble que son cœur gonflé de vierge entre en moi.