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Certes, le mien bat pour deux en ce moment. J’en suis plein de la nuque à l’orteil.

L’agitation trouble l’eau, et le ciel s’éloigne. Je soulève ma bande et je regarde aussi avec mon œil malade.

Dans mon œil malade scintille un reflet d’étoiles qui se brise comme dans un prisme.

— Vois-tu la première étoile dans le ciel ? — demandé-je à la Sirenetta.

— Pas encore, répond-elle.

C’est dans mon œil malade qu’est le spectre de l’étoile.

Je demande : « Peut-on voir d’ici la lune nouvelle ? »

Elle se lève. Sa figure se découpe sur la vitre. Elle me semble grandie par un soupir réprimé.

— Je ne l’aperçois pas, répond-elle. Veux-tu que j’aille dans le jardin pour tâcher de la découvrir ?

Je lui donne mon anxiété. Mon anxiété lui donne une aile qui remplit l’ombre de la chambre.

Elle descend. L’ombre s’épaissit. Le ciel est cendré. Il devient opaque et inerte.

La Sirenetta reparait. J’entends sa légèreté dans l’escalier comme une mélodie montante.

A-t-elle sous les pieds la faucille de la lune ?

Porte-t-elle le diadème de la lune sur son front ?

Elle dit : « La nouvelle lune est derrière la maison. Tu ne peux la voir. »

Je suis déçu, comme un enfant à qui l’on n’a point tenu une promesse.

On me remet sur le lit odieux.

Du ciel, il ne reste en moi que le désert de cendre.


GABRIELE D’ANNUNZIO.

Traduit par ANDRÉ DODERET.