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(Louis XVIII). » Ainsi la plume de Perlet influe-t-elle sur les préférences du Roi de Mitau et des ministres de George III, car les uns et l’autre comptent sur le Comité, encore qu’ils n’en connaissent pas la composition. Perlet s’est toujours refusé à citer aucun nom ; mais il procède par allusions qu’on imagine là-bas transparentes, et, la « clairvoyance » de Fauche-Borel aidant, on s’ingénie à mettre des noms sur les chimériques silhouettes qu’esquisse vaguement Perlet.

Sur l’ordre du Roi, François Fauche a passé à son frère la direction de la correspondance : or, malgré la « connaissance approfondie » qu’a Fauche-Borel du personnel révolutionnaire et des dessous de la politique, » il ne parvient pas à percer les ténèbres dont s’entoure le Comité de Perlet. Mais là où il affirme ne pas s’illusionner, c’est en comptant sur « les bons sentiments » de Fouché, « qui a sauvé et sauve encore les vrais amis du Roi. » Chose singulière, cette opinion courait, non point seulement dans la cervelle à l’évent de Fauche-Borel, mais parmi toute l’émigration : Fouché le montagnard, Fouché le régicide, le proconsul de Nevers et de Lyon, le terrible policier de Bonaparte, passait, aux yeux des partisans de la légitimité, pour être la providence des royalistes : « Dès 1803, deux chefs chouans, Suzannet et d’Andigné, avaient déjà confié à d’Antraigues que Fouché était prêt à renverser le gouvernement de Bonaparte. » Telle était aussi la croyance du cabinet de Saint-James ; Fouché le savait et, — chose plus singulière encore, — ça ne lui déplaisait pas. Aussi s’amusait-il manifestement à suivre dans la correspondance échangée entre Fauche-Borel et Perlet les efforts du premier pour obtenir « des noms » que l’autre s’obstinait, — par scrupule d’honnêteté, disait-il ! — à ne point révéler, ce dont il eût été bien en peine. Et c’est ainsi que ce Comité anonyme et inexistant influa sur la politique de l’émigration et, par contre-coup, sur celle de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Russie.

Cet imbroglio, qui paraîtrait vaudevillesque s’il n’inspirait tant de répugnance, s’amplifia dès la première année par les soins diligents de Fauche-Borel qui consacrait à la conduite de cette « affaire immense, » tout son zèle et tout son temps. Cet imprimeur, qui imprimait si peu, était, en revanche, un épistolier d’une fécondité déplorable : sous le moindre prétexte, il couvrait huit pages de sa cursive, assez incorrecte, d’ailleurs.