tant bien que mal l’étendue de la dune livide se confondant à l’horizon avec la ligne grise du golfe de Riga. Par malheur, ce noble et triste décor incitait à l’organisation d’une Cour, et l’on n’y manqua pas. Quoique, si l’on excepte les grands appartements, le château fût entièrement démeublé ; qu’il n’y eût « point de lits, point de couchettes, point de linge, ni rien de ce qui est indispensable dans la plus chétive maison, » on s’installa, à l’économie, mais de façon à satisfaire l’étiquette. Dans ce grand palais on s’efforça de reconstituer Versailles et les Tuileries, encore qu’on disposât seulement des charités du Czar, un lunatique, dont les munificences étaient intermittentes. Ainsi avait-il eu la délicate pensée de former un détachement de cent anciens gardes du corps du Roi, ayant fait partie de la cavalerie noble de l’armée de Condé et qu’il fit conduire à Mitau dans des fourgons de poste, afin que le Prétendant fût reçu à son débotté avec les honneurs royaux ; mais le Czar avait négligé de donner des ordres au sujet du logement, de la paie et de l’habillement de cette maison militaire improvisée, de sorte que, affamés et en loques, réduits à l’aumône des habitants de Mitau, ces gardes du corps n’eurent pour casernement qu’une maison entièrement dégarnie où ne se trouva pas même une botte de paille.
Tout de même, quand on se fut organisé, et après l’arrivée de la Reine, demeurée jusqu’alors en Bohême, et de Madame Royale, fille de Louis XVI, internée à Vienne depuis sa sortie du Temple, la Cour de Mitau prit un semblant de tenue. Le Roi eut « sa maison : » grand aumônier, aumôniers en service, gentilshommes de la Chambre, aides de camp, chambellans par quartier... La Reine et Madame, — qu’on maria sans désemparer à son cousin le duc d’Angoulême, — furent pourvues d’une dame d’honneur, d’une dame pour accompagner et d’un chevalier d’honneur. Près de trois cents Français vivaient dans le château des ducs de Courlande, et d’être là après tant de dispersions et de misères, dans cette oasis favorable aux illusions, ils souhaitaient que rien ne vint troubler cette accalmie et ils redoutaient par-dessus tout les porteurs de mauvaises nouvelles. Certes, les bénéfices matériels étaient minces, les portions congrues, les livrées râpées, la chère était maigre, la pénurie grande, car le Roi, qui tenait lui-même les cordons de sa bourse, répartissait parcimonieusement les deux cent mille