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you will never be happy in this world, you are too good. Je ne sais si la seconde partie de sa prédiction était vraie, mais je sais maintenant que la première n’est pas loin de s’accomplir... Mais ma mère, ma sœur, mon frère ! Il faut vous quitter sans avoir rien fait pour vous !... Je pars, mon ami ; encore quelques instants et je ne serai plus ; consolez ma mère, c’est le seul chagrin que m’occasionne ce moment critique. Adieu, adieu ! V.


Ces quelques instants, les plus rudes, se prolongèrent, hélas ! Vitel ne connaissait rien de Paris ; il ignorait la lenteur des derniers apprêts et la longueur du trajet depuis la prison de l’Abbaye, située au débouché de rue de Bucy dans la rue du Four, jusqu’à la plaine de Grenelle où avaient lieu les exécutions militaires. Les habitants du quartier Saint-Germain étaient, eux, accoutumés à ce spectacle : un fiacre et un peloton de cavaliers se rangeaient-ils devant la geôle, contre le porche à fronton triangulaire qui agrémentait la vieille bâtisse, trapue et grise, flanquée de tourelles sans toits à chacun de ses angles, ils comprenaient qu’un condamné partait pour « la Barrière » et ils se massaient dans l’étroit carrefour, afin d’assister à sa sortie. Les femmes du marché Saint-Germain surtout étaient friandes de ces émotions ; elles quittaient leurs places et s’attroupaient autour de la voiture pour apprécier l’attitude du moribond. Comme il arrive dans les foules parisiennes, il se trouvait toujours là des gens, informés de tout, pour détailler ce qui se passait à l’intérieur de la prison et commenter les circonstances du crime et du procès. Ils savaient, ce jour-là que « c’était un Anglais, » — un espion ; — en ce moment, on l’entravait avant de le placer dans le fiacre. Tel était l’usage, en effet ; mais quand, l’heure venue, les geôliers entrèrent dans la cellule de Vitel et qu’il aperçut, aux mains de l’un d’eux, la corde destinée à le garrotter, il recula d’effroi, croyant qu’on allait l’étrangler. Comprenant qu’il s’agissait seulement d’attacher ses mains, il réclama et obtint la faveur de garder la liberté de ses mouvements. Il but un dernier verre de vin ; il était prêt.

Le ciel, très clair le matin, s’était obscurci ; une bourrasque de grésil et de neige passait sur Paris ; il faisait froid. Sur la petite place les cavaliers s’étaient mis en selle, sabre au clair. Les portes s’ouvrirent ; le condamné parut, et tout de suite ce fut un murmure de compassion. Comme il est jeune ! Les